Dans tous les cas, pour de nombreuses communautés gardiennes, le lien avec leurs territoires est bien plus riche que ce qu’un mot ou une étiquette ne pourrait exprimer. C’est une relation de mode de vie, d’énergie et de santé. C’est une source d’identité et de culture, d’autonomie et de liberté. C’est le lien connectant les générations, préservant les mémoires du passé, et les connectant aux désirs futurs. C’est le sol sur lequel les communautés apprennent, identifient des valeurs et développent leurs propres règles. Pour beaucoup, c’est aussi une connexion entre des réalités visibles et invisibles, des richesses matérielles et spirituelles. Avec le territoire et la nature vont la vie, la dignité et l’auto-détermination en tant que peuples.
Les trois caractéristiques suivantes permettent d’identifier une APAC :
- Il existe une connexion forte et profonde entre un peuple autochtone ou une communauté locale et un territoire, une aire ou l’habitat d’une espèce (par ex. pour des raisons historiques, culturelles, ou pour des questions de survie et de dépendance à un mode de vie).
- Ce peuple ou cette communauté tiennent un rôle majeur dans la prise de décisions et leur mise en œuvre (gouvernance et gestion) pour tout ce qui concerne ce territoire, cette aire, ou cet habitat. Ceci implique qu’il existe une institution communautaire et qu’elle ait la capacité de développer et de faire appliquer les régulations (dans plusieurs situations, d’autres acteurs sont aussi impliqués, mais la prise de décision principale reste entre les mains du peuple ou de la communauté de facto)
- Les décisions en termes de gouvernance et les efforts de gestion du peuple ou de la communauté permettent la conservation de la nature du territoire, de l’aire ou de l’habitat, ainsi que la conservation associée des valeurs culturelles et du bien-être de la communauté (même si l’objectif conscient de la gestion n’est pas un objectif de conservation per se, et porte, par exemple, sur des modes de vie matériels, la sécurité de l’eau, la sauvegarde des lieux culturels et spirituels, etc.)
Les « APAC perturbées » peuvent être des territoires et des aires, contrôlées depuis longtemps par des communautés locales ou des peuples autochtones, qui sont en mauvais état de conservation pour diverses influences et conditions qui se sont passées en dehors de leur contrôle. Elles peuvent aussi être des territoires et aires bien conservés dans lesquels les communautés souhaiteraient vivre de façon durable, mais à qui on a supprimé ou confisqué la gestion à cause d’initiatives de développement, de conservation ou pour d’autres raisons. Elles peuvent être « perturbées » parce qu’il n’existe aucune façon de les accommoder sous une législation ou politique nationale (dans certains cas, la législation nationale ne reconnait même pas l’existence des « communautés » ou « peuples autochtones » comme acteurs sociaux). Dans ces cas, les APAC peuvent exister de facto sur le terrain et jouer un rôle important pour la conservation de la biodiversité… mais n’avoir qu’une faible sécurité à long-terme. Le défi est de s’assurer que les APAC perturbées sont reconnues et soutenues de façon appropriée pendant qu’elles se recréée et se renforcent. Toutes les APAC devraient bénéficier de reconnaissance, de soutien et de protection contre les menaces (qui, malheureusement, abondent).
Les « APAC désirées » peuvent être liées au plan de vie de communautés nouvelles ou reconstituées, dont les membres ont décidé de s’allier les uns aux autres, liés par un environnement commun, des principes socio-écologiques et une vision. Ce-faisant, ils développent une identité commune pour eux-mêmes en tant que « communauté » et pour leur territoire en tant qu’ « APAC ». Une « APAC désirée » peut faire référence à une situation historique existante, ou bien peut commencer de zéro, sur la base de valeurs communes et d’un travail important pour la restauration d’un territoire spécifique. Un exemple important « d’APAC désirée » peut être le nouveau territoire d’une communauté autochtone relogée sur une nouvelle terre. Si, pour diverses raisons, la communauté décide d’accepter de vivre sur le nouveau territoire, elle doit travailler consciencieusement à développer son lien avec lui, ainsi qu’à une forme d’institution de gouvernance et des pratiques positives (les trois caractéristiques des APAC).
Au cours des dernières décennies, les APAC ont été connues et reconnues comme éléments essentiels de la conservation de la nature, de modes de vie durables, de l’accomplissement de droits et responsabilités collectifs, ainsi que du bien-être des êtres vivants sur notre planète – qui sont tous attaqués par diverses forces économiques et politiques. Elles comprennent des cas dans lesquels des pratiques traditionnelles, dont certaines d’origines anciennes, ont été poursuivies, récupérées, modifiées, ainsi que de nouvelles initiatives comme la restauration d’écosystèmes et l’usage innovant de ressources employées par des peuples autochtones ou des communautés locales, face à des menaces et opportunités.
- Les APAC aident à conserver des écosystèmes essentiels et des espèces menacées, à maintenir des fonctions ecosystémiques essentielles (par exemple la sécurité de l‘eau) et à fournir des couloirs et liens pour permettre les mouvements des animaux et des gènes, y compris entre deux, ou plusieurs, aires protégées ;
- Les APAC sont la base des moyens de subsistances culturels et économiques pour des millions de personnes, en sécurisant les ressources (l’énergie, la nourriture, l’eau, le fourrage) et les revenus ;
- Les APAC font partie de la résistance des peuples autochtones et communautés locales face au développement destructeur, par ex. les forêts humides menacées par l’industrie minière, les barrages, l’exploitation forestière, le tourisme qui menace les écosystèmes écologiquement sensibles de haute-altitude, la surexploitation des ressources marines par la pêche industrielles, etc. ;
- Les APAC se basent sur des règles et institutions « adaptées au contexte » compétentes en termes de gestion adaptive et capable de proposer des réponses souples et culturellement appropriées aux changements ;
- Les APAC sont construites sur des connaissances et capacités collectives écologiques et sophistiquées, y compris l’usage durable de ressources sauvages, maintenant l’agro-biodiversité et les méthodes de gestions locales qui ont résisté à l’épreuve du temps. Ils sont typiquement élaborés pour conserver des ressources essentielles à la subsistance en temps de stress et de besoin, comme lors de graves évènements climatiques, guerre et désastres naturels ;
- Les APAC jouent un rôle essentiel pour sécuriser les droits des peuples autochtones et communautés locales à leur terre et ressources naturelles, à travers une gouvernance locale – de jure et de facto ;
- Les APAC aident à maintenir la synergie entre la biodiversité en agriculture et la vie sauvage, en fournissant un haut niveau d’intégration au sein d’un paysage terrestre et marin plus vaste.
- Les APAC fournissent des leçons dans des systèmes de conservation qui intègrent des lois coutumières et statutaires.
- Les APAC aident à éviter une migration urbaine excessive.
- Les APAC peuvent être la fondation d’une identité et d’une fierté culturelle pour d’innombrables peuples autochtones et communautés locales à travers le monde.
- L’accaparement des terres et de l’eau, notamment l’expropriation des « biens communs » à travers des processus de nationalisation et de privatisation de terres et de ressources naturelles, l’expropriation pour le développement de projets de grandes infrastructures (barrages, ports, routes, etc.), et l’empiètement des terres par des colons illégaux ;
- L’intervention de « développement » inadéquat et l’usage non-durable de ressources renouvelables et non-renouvelables (bois, faune, minéraux, etc.) par des étrangers puissants ou des membres de la communauté sous l’influence des forces du marché et d’incitations perverses ;
- L’affaiblissement des institutions traditionnelles par des systèmes politiques décentralisés, par lesquels les gouvernements se donnent la plupart des fonctions et pouvoir utiles ;
- Les modèles de développement et d’éducation inappropriés, les intrusions religieuses et les changements, entraînés par des facteurs externes, des systèmes locaux de valeurs (l’acculturation) ;
- Le manque de reconnaissance appropriée et le manque de soutien politique, légal et économique qui entravent les efforts communautaires de conservation de leurs territoires et ressources naturelles par des moyens traditionnels (cela peut aussi comprendre des règles imposées par des schémas nationaux de conservation tels que des aires protégées ou des paiements pour des services écosystémiques) ;
- Les conflits externes et internes, les inégalités et faibles institutions locales ;
- Les désastres environnementaux et sociaux-économiques liés au changement climatique et à d’autres changements socio-économiques majeurs qui sont hors de portée du contrôle locale.
First published on 04/10/2016, and last updated on 05/12/2018