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Des Peuples Autochtones victimes de nouvelles attaques au Myanmar: lettre ouverte et appel à l’action

Featured image: Featured photo caption: Villagers fleeing airstrikes by the military junta in the Karen State of Myanmar gathered along the banks of the Salween River after being forced back by the Thai army. Photo via Salween Peace Park

First published on 04/05/2021, and last updated on 04/23/2021

Les frappes aériennes sur le Parc de la Paix de Salween, qui ont commencé le samedi 27 mars 2021, ont touché des dizaines de milliers de villageois autochtones dans le nord de l’Etat Karen en Birmanie/Myanmar. Le Consortium APAC a publié une lettre ouverte et appelé à la mobilisation, condamnant ainsi les violations aux droits humains et les violences commises par l’armée à l’encontre des Peuples Autochtones, des groupes ethniques et autres civils innocents.

Le Consortium APAC est une association internationale qui reconnaît et soutient les Peuples Autochtones et les communautés locales comme étant les gardiens et protecteurs de la diversité de la vie sur Terre [1].

 

Nous sommes aujourd’hui profondément préoccupés par la prise de pouvoir illégale des militaires du Myanmar qui. Le 1er février 2021, ceux-ci ont décidé d’installer une junte au pouvoir après avoir détenu des chefs civils dûment élus. Depuis, la junte a violé les droits des citoyens du Myanmar, parmi lesquels les droits des Peuples Autochtones de vivre en liberté, paix et sécurité et de n’être soumis à aucun acte de génocide ou de violence (UNDRIP, article 7). Nous condamnons toute violence, tout recours à la force et toute tactique d’oppression et de répression à l’encontre de civils innocents. Nous sommes solidaires et soutenons nos sœurs et frères autochtones et tous les Peuples Autochtones et groupes ethniques dont les droits sont violés par la junte militaire du même pays.

Nous avons reçu des informations selon lesquelles le 27 mars 2021, l’armée du Myanmar a commencé à lancer une série de frappes aériennes meurtrières sur Day Bu Noh et les villages environnants, au cœur du Parc de la Paix de Salween, dans le district de Mutraw (Hpapun), dans l’État Karen, ainsi que dans d’autres régions karens situées à l’extérieur du Parc de Paix, dans le district de Kler Lwee Htoo (Nyaunglebin). Au 1er avril 2021, les militaires ont mené plusieurs attaques aériennes à la bombe, tuant au moins 19 personnes, en blessant au moins 27 autres et forçant plusieurs milliers de personnes à fuir leurs villages pour trouver refuge et abri (Rapport du Parc de Paix de Salween en anglais – Fichier PDF).

Salween Peace Park

(À gauche) Des personnes fuyant dans la forêt pour échapper aux frappes aériennes dans le Parc de la Paix de Salween, district de Mutraw; (à droite) Des villageois rassemblés le long des berges de la rivière Salween après avoir été repoussés par l’armée thaïlandaise. Photo reproduite avec l’aimable autorisation du parc de la paix de Salween

Environ 3 000 réfugiés Karens ont tenté de traverser la frontière thaïlandaise, mais certains ont été refoulés par le gouvernement thaïlandais. Au moins 20 000 villageois sont actuellement déplacés à l’intérieur du pays. Craignant pour leur vie, ils se cachent dans les montagnes et les forêts du Parc de la Paix de Salween. Les attaques ont déjà détruit et endommagé de nombreuses maisons et bâtiments tels que des écoles et un hôpital. L’étendue des dégâts causés aux zones agricoles, aux sites culturels et à l’environnement local est actuellement inconnue.

Ces attaques meurtrières contre des civils innocents au sein du Parc de la Paix de Salween constituent une atteinte au droit des Peuples Autochtones à l’autodétermination et à la paix. Le Parc de la Paix de Salween est une initiative puissante et primée au niveau international [2], lancée par près de 350 villages autochtones karens en décembre 2018 afin d’apporter la paix et l’harmonie après 70 ans de conflit armé et d’offrir aux Peuples Autochtones un espace de paix et de sécurité pour maintenir leur culture et leur environnement naturel. Pourtant, la menace de l’occupation militaire a continué de planer sur la région.

Les attaques contre les Peuples Autochtones et les minorités ethniques, en particulier dans les zones rurales isolées, sont souvent oubliées et ne sont pas couvertes par les médias internationaux, contribuant ainsi à une certaine deresponsabilisation et à la culture de l’impunité envers les violations des droits humains et de l’environnement. Les attaques menées depuis le 27 mars font suite à quatre mois d’intensification des assauts de l’artillerie birmane contre les villages karens dans les districts de Mutraw et de Kler Lwee Htoo. Lorsque les militaires ont organisé le coup d’État du 1er février, leurs attaques d’artillerie avaient déjà contraint plus de 5 000 villageois Karens à fuir.

Pour les autochtones Karens, qui sont marqués par le traumatisme de décennies de conflits violents et de violations des droits humains, les attaques actuelles représentent leurs pires cauchemars. Depuis 2016, ils ont développé le projet du Parc de la Paix de Salween. Ils ont rêvé et pensé que la paix arriverait et ont consacré tous leurs efforts à construire cet avenir. Aujourd’hui, l’armée birmane bombarde le Parc de la Paix de Salween… Plus que tout, les habitants de Mutraw aspirent à vivre sur leurs propres terres ancestrales, en coexistence et de manière pacifique avec les autres peuples et communautés ethniques de Birmanie. Le Parc de la Paix offre un moyen de construire une véritable paix et réconciliation ainsi qu’un avenir partagé.<span class="su-quote-cite">Déclaration du Parc de la Paix de Salween, 2 avril 2021</span>
Salween Peace Park

Le Parc de la Paix de Salween dans l’État Karen, au Myanmar, avant le coup d’État militaire. Photo © Saw Doo Plout Soe / KESAN

Dans tout le pays, les citoyens du Myanmar ont répondu au coup d’État du 1er février par des manifestations et une mobilisation sans précédent. Des milliers de personnes ont également manifesté dans le Parc de la Paix de Salween pour exprimer leur solidarité envers les protestations contre le coup d’État, tout en réitérant les aspirations des Karens à l’égalité, à l’autodétermination, à la paix et à l’harmonie communautaire. La junte a répondu par la force brutale, limitant l’accès des citoyens à internet, réprimant les manifestations pacifiques, arrêtant des militants, des journalistes, des fonctionnaires et des étudiants, et torturant et tuant plusieurs personnes détenues. Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme et le conseiller spécial des Nations unies pour la prévention du génocide ont déclaré que, depuis que la junte a pris le pouvoir, des milliers de personnes ont été arrêtées arbitrairement et beaucoup ont été victimes de disparitions forcées. [3] Près de 550 personnes ont été tuées depuis le coup d’État. Dans la seule journée du 27 mars 2021, les forces de sécurité ont tué au moins 107 personnes, dont sept enfants, et des centaines d’autres ont été blessées et détenues. Le 31 mars 2021, l’envoyé spécial des Nations unies pour le Myanmar a déclaré, lors d’une session à huis clos du Conseil de sécurité des Nations unies, que « l’urgence d’une solution à cette crise ne pourrait être plus claire » à l’heure où les crimes et les violations les plus graves du droit international se font « au vu et su de tous » et a alerté sur la « possibilité d’une guerre civile à une échelle sans précédent »[4].

Compte tenu de la gravité de la situation actuelle, notamment des frappes aériennes meurtrières contre les Peuples Autochtones dans l’État Karen et dans le Parc de la Paix de Salween depuis le 27 mars 2021, nous demandons :

  1. A la junte (Tatmadaw) de cesser immédiatement de tuer, attaquer, harceler, arrêter, blesser ou réaliser des disparitions forcées sur les Peuples Autochtones qui résident pacifiquement sur leurs terres et territoires traditionnels, ainsi que les défenseurs des droits humains, les journalistes et les manifestants pacifiques engagés dans des actions de protestation pacifique et de désobéissance civile. Tous les officiers militaires et les soldats responsables de ces violations des droits humains doivent être tenus pour responsables.
  2. Aux gouvernements de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) de revoir tout type de soutien tacite au régime militaire qui s’est emparé du pouvoir au Myanmar, de prendre des sanctions ciblées contre ce régime, d’enquêter sur toutes les entreprises nationales qui ont actuellement des liens avec le régime militaire du Myanmar et de restreindre les liens commerciaux jusqu’à ce que le gouvernement légitime et démocratiquement élu ait repris le pouvoir.
  3. Au gouvernement thaïlandais de permettre aux personnes fuyant les récentes attaques aériennes dans le nord de l’État Karen de se réfugier du côté thaïlandais de la frontière et que l’aide humanitaire puisse leur être apportée.
  4. Au Conseil de sécurité de l’ONU, à l’Union Européenne et aux gouvernements des États membres d’imposer un embargo mondial sur les armes à l’encontre du régime militaire afin que ce dernier perde l’accès aux armes et aux équipements qu’il utilise à des fins de violation des droits des Peuples Autochtones et des autres citoyens.
  5. A la communauté internationale : de refuser de reconnaître le régime militaire ; de soutenir les Peuples Autochtones et les minorités ethniques du Myanmar, y compris ceux qui cherchent un refuge et une aide humanitaire d’urgence, ainsi que les citoyens du Myanmar en général qui protestent pacifiquement contre le coup d’État de la Tatmadaw (junte) et cherchent le retour de la démocratie et de la paix ; et prendre toutes les mesures nécessaires afin de traduire en justice et tenir pour responsables les personnes responsables de violations des droits humains au regard du du droit international.
  6. Enfin, nous invitons les citoyens se sentant concernés par cette situation à exprimer leur solidarité et leur soutien au Peuple Autochtone Karen du Parc de Paix de Salween par le biais des réseaux sociaux [5] et en écrivant à defending@iccaconsortium.org .

Seule une action concertée immédiate peut remédier à la situation actuelle au Myanmar et empêcher de nouvelles violations des droits humains. Nous exhortons toutes les parties à agir sans plus attendre.

Téléchargez la version pdf de cette lettre ouverte et de cet appel à l’action (PDF).

Restez au courant des dernières informations sur cette situation grâce à notre page d’alerte: https://www.iccaconsortium.org/index.php/fr/2021/04/05/alerte-myanmar-junte-militaire-bombarde-parc-paix-salween-territoire-autochtone-karen/

NOTES FINALES

[1] Enregistrée en Suisse en tant qu’association à but non lucratif, le Consortium APAC promeut la reconnaissance et le soutien appropriés aux aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire (aussi appelés « APAC » ou « territoires de vie »). Au moment de la publication de ce document, l’association comprend 170 organisations Membres (organisations de Peuples Autochtones, organisations communautaires et organisations de la société civile) et 415 Membres d’Honneur (particuliers) originaires de 80 pays autour du monde. En Asie du Sud-Est, elle compte 22 Membres basés dans six pays et 44 Membres d’Honneur.

[2] Le Parc de la Paix de Salween, d’une superficie de 5 400 km2, a reçu en juin 2020 le prestigieux prix Équateur décerné par l’Initiative du PNUD portant le même nom, en reconnaissance des efforts exceptionnels déployés par les communautés pour réduire la pauvreté par le biais de la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. Saw Paul Sein Twa, président du comité directeur du Parc de la Paix, a également reçu le prix Goldman 2020 pour l’environnement en Asie.

[3] Déclaration conjointe d’Alice Wairimu Nderitu, conseillère spéciale des Nations unies pour la prévention du génocide et de Michelle Bachelet, haut-commissaire aux droits de l’homme, sur la situation au Myanmar (28 mars 2021) : « Myanmar : Les hauts responsables de l’ONU condamnent les attaques “systématiques” contre les manifestants pacifiques et soulignent la responsabilité internationale de protéger la population contre les crimes atroces ». Consultable à l’adresse : https://news.un.org/fr/story/2021/03/1092822

[4] UN News (31 mars 2021) : « Myanmar : “Une action significative” est nécessaire de la part du Conseil de sécurité pour empêcher un “bain de sang” ». Consultable à l’adresse : https://news.un.org/fr/story/2021/03/1093132

[5] Le Parc de la Paix de Salween sur Facebook : https://www.facebook.com/Salween-Peace-Park-105819057562017/ et sur Twitter : https://twitter.com/salweenp.

 

Note du traducteur: la majorité des hyperliens incluent dans le texte renvoient à des articles de journaux en anglais, non traduits en français. Dans le souci d’apporter le plus d’informations possibles aux lecteurs, ces hyperliens ont été maintenus dans la traduction française.

 

Image de couverture: Des villageois fuyant les bombardements de la junte militaire dans l’Etat Karen au Myanmar,
rassemblés le long des berges de la rivière Salween, après avoir été repoussés par l’armée thaïlandaise.
Photo reproduite avec l’aimable autorisation du parc de la paix de Salween