Categories Afrique, Publications, République Démocratique du Congo

La première édition des journées locales agro-socio-traditionnelles MBOSA

L'APAC KISIMBOSA célèbre la première édition des journées locales agro-socio-traditionnelles MBOSA du 30 au 31 juillet 2021

First published on 11/22/2021, and last updated on 09/21/2023

L’APAC KISIMBOSA célèbre la première édition des journées locales agro-socio-traditionnelles MBOSA du 30 au 31 juillet 2021

Par Joseph Itongwa Mukumo, Coordinateur régional pour l’Afrique centrale, Consortium APAC

Le Petit village de Lufito, en pleine forêt communautaire de l’Aire du Patrimoine Autochtone et Communautaire de Kisimbosa, a accueilli plus de 250 autochtones venus des différentes zones du territoire de Walikale pour participer, du 30 au 31 juillet 2021, à la première édition des journées locales agro-socio-traditionnelles MBOSA. Ce festival, qui a été marqué par les activités de revitalisation des savoirs et pratiques traditionnels, a permis  aux communautés locales  et voisines des peuples autochtones,  aux autorités politiques et administratives locales, aux responsables des confessions  religieuses et aux acteurs de la société civile, de  découvrir  les  talents et la richesse culturelle et naturelle conservée par les  autochtones  de Kisimbosa.

1. Kisimbosa, un patrimoine naturel et culturel avec une communauté  déterminée et engagée dans sa préservation.

Le Petit village de Lufito, en pleine forêt communautaire de l’Aire du Patrimoine Autochtone et Communautaire de Kisimbosa, a accueilli plus de 250 autochtones venus des différentes zones du territoire de Walikale pour participer, du 30 au 31 juillet 2021, à la première édition des journées locales agro-socio-traditionnelles MBOSA. Ce festival, qui a été marqué par les activités de revitalisation des savoirs et pratiques traditionnels, a permis  aux communautés locales  et voisines des peuples autochtones,  aux autorités politiques et administratives locales, aux responsables des confessions  religieuses et aux acteurs de la société civile, de  découvrir  les  talents et la richesse culturelle et naturelle conservée par les  autochtones  de Kisimbosa.

Kisimbosa est l’une des principales APAC emblématiques, située dans le secteur des Bakano/ Territoire de Walikale/ Province du Nord Kivu en République Démocratique du Congo. Elle  s’étend  sur une superficie de  5572,52 ha ; elle est constituée d’un écosystème de forêts  primaire et secondaire avec une riche faune et flore (Grands singes, Sanglier, Chimpanzés, Léopard, Girafes) et des rivières aux poissons périodiques (Chooko). Elle renferme aussi des  sites   d’une grande diversité culturelle, ainsi que des montagnes, ruisseaux  et arbres sacrés,  mais  aussi des espaces  du patrimoine  dédiés à des  rites d’intronisation, de circoncision des jeunes et de la pharmacopée. Kisimbosa est doté d’un titre de sécurisation juridique depuis mai 2019, en vertu du Décret sur la foresterie communautaire. Le lien culturel étroit des communautés autochtones de Kisimbosa avec leur territoire et ressources, contribue à renforcer leur engagement et détermination dans le maintien durable des forêts et des ressources. Les communautés de Kisimbosa ont mis en place un système de surveillance de l’exploitation illégale des ressources basés sur des règles traditionnelles.

2. Maintenir et valoriser le système alimentaire traditionnel.

« Nos habitudes alimentaires traditionnelles font face à une soumission au système alimentaire dominant imposé par d’autres communautés et civilisations », ont déclaré les habitants de Kisimbosa, qui ont avoué qu’il était temps d’agir maintenant pour revitaliser ces savoirs alimentaires qui font face à la pression  de civilisations extérieures.  Les espèces végétales traditionnelles sont  menacées et en voie de disparition. La perte de ces espèces a des conséquences sur le bien être sanitaire des autochtones.

La revitalisation renforce la sécurité et l’autosuffisance alimentaire et surtout la souveraineté.

Elle permet de maintenir le système alimentaire, qui épargne les maladies chroniques provoquées par la consommation excessive d’aliments   importés et transformés. Et surtout le changement d’habitudes traditionnelles. Plusieurs différentes maladies  non transmissibles et aussi complexes,  causées  par cette mauvaise habitude sont, entres autres : le diabète, les maladies cardiovasculaires, certains types de cancer, une réduction de la qualité et de l’espérance et de la durée de vie.

3. Valoriser les connaissances traditionnelles relatives à la santé.

Kisimbosa renferme aussi la richesse en espèces végétales pour la phytothérapie ou la médecine à base de plantes. Le festival a permis aux détenteurs des savoirs en phytothérapie de se mobiliser pour vulgariser les plantes et leurs essences. Ils ont démontré leurs capacités à soigner certaines maladies, ce qui a attiré l’admiration des invités pendant le festival.

L’émergence de crises sanitaires, marquée par certaines   pandémies telles que le COVID19, Ebola et d’autres épidémies locales, a  engagé les  détenteurs autochtones   des savoirs traditionnels à lancer, en marge du festival, un processus d’indentification des plantes et médicaments traditionnels, devant répondre même aux effets et symptômes de certaines pandémies actuelles. Désormais, le festival annuel offrira un espace d’échange entre les détenteurs des savoirs autochtones pour évaluer leur action, et surtout démontrer le progrès relatif à la valorisation et l’utilisation de leurs connaissances.  

4. Promouvoir les pratiques d’utilisation durable de la biodiversité.

Kisimbosa renferme plusieurs types d’espèces de la diversité biologique et des forêts dont l’intégrité est conséquente aux pratiques de chasse et de pêche durables. L’établissement des règles d’exploitation ordonnée des ressources ont influencé l’augmentation de nombres d’espèces et la restauration d’autres qui avaient disparues pendant une longue  période. Le festival a coïncidé avec l’autorisation des activités de pêche et de chasse communautaires après une période de fermeture fixée d’une manière participative par les membres des communautés autochtones de Kisimbosa. Cette période permet la reproduction des espèces animales et aquatiques.

Plusieurs scènes de démonstration des pratiques de chasse et pêches féminines collectives et communautaires ont été présentées aux invités. L’utilisation de ces pratiques a été la base d’une forte résilience des peuples autochtones face aux calamités et maladies. Il est à noter que tous ces systèmes traditionnels autochtones sont le résultat d’une forte relation harmonieuse entre les peuples autochtones et les territoires de vie, qui marque même leur identité et leur bien–être et surtout le mieux vivre.  

Les systèmes traditionnels alimentaires, sanitaires, de conservation et d’utilisation rationnelle des ressources font partie de la relation réciproque et interdépendante des peuples autochtones avec leur environnement. Ils sont également essentiels pour renforcer la relation  communautaire, le soutien mutuel et les pratiques culturelles.

En définitive, les communautés de Kisimbosa continuent à démontrer une grande détermination à conserver et pérenniser toute cette richesse de connaissances sur les systèmes traditionnels alimentaire, sanitaire, culturel et de conservation. Elles ont décidé de lutter contre la perte de ces systèmes traditionnels, et de résister aux menaces en organisant des activités de revitalisation, de promotion et de valorisation. Et surtout leur transmission à des générations  actuelles et futures.

5. Un dialogue permanent pour la transmission intergénérationnelle des savoirs et connaissances traditionnels.tion durable de la biodiversité.

Combler le fossé entre les détenteurs des savoirs traditionnels et les jeunes autochtones a été une grande nécessité, comme inscrire au programme du festival un dialogue intergénérationnel  permettant aux enfants et  jeunes de s’approprier les connaissances des plus âgés. Et ceci devrait se baser sur le rétablissement de la confiance et du respect envers les plus âgés. Plus de 47 enfants et jeunes, en majorité des garçons, ont suivi avec attention des explications sur les différentes valeurs et essences des richesses naturelles et culturelles de Kisimbosa.

Mr MUKUMBWA NKANGO, un des principaux gardiens de la tradition des autochtones de Kisimbosa, s’est exprimé en ces termes :


« Nous avions protégé nos terres et territoires que nous ont légués nos ancêtres, nous vous les prêtons en tant que générations actuelles pour les gérer rationnellement, en vue de les rendre sans dégradation aux générations futures, qui doivent juger les résultats de nos pratiques de conservation et d’utilisation des ressources, de notre conservation ».

6. Le rôle des services spécialisés de l’administration publique et de la sécurité pour contenir les menaces sur le territoire de Kisimbosa.

Les menaces de toutes sortes pèsent sur le territoire traditionnel des peuples autochtones de Kisimbosa, parmi lesquelles la chasse illégale et d’autres formes d’exploitation clandestine affaiblissant parfois les efforts de surveillance et de conservation des communautés de Kisimbosa. Le festival a créé un espace de sensibilisation pour les responsables des services étatiques de l’administration publique, de la sécurité et de la police, invités à cet événement, pour qu’ils contribuent aux efforts de conservation et surtout à la protection des  défenseurs des territoires et ressources de Kisimbosa. Il leur a été démontré que l’État congolais perdrait les bénéfices environnementaux  importants générés par la contribution et les efforts de conservation des peuples autochtones de Kisimbosa et d’autres parties de Walikale, s’ils n’agissaient pas sur le plan juridique face aux menaces sur les territoires autochtones.

7. Dialogue avec les responsables religieux pour la non diabolisation des pratiques, valeurs et connaissances traditionnelles.

3 membres de différentes confessions religieuses, invités à l’événement, dont le délégué de l’église catholique, de l’église du christ au Congo, et de la représentation islamique du Territoire de Walikale, se sont exprimés en ce termes : 


« Nous avions compris que toutes les valeurs traditionnelles et la spiritualité des peuples autochtones que certains messages d’évangélisation ont à tort qualifiés de diaboliques, sont bénéfiques dans plusieurs domaines de la vie y compris le respect de la création de Dieu, notamment la diversité biologique dont prennent soins depuis très longtemps les peuples autochtones ».

Les confessions religieuses en RDCongo sont engagées  dans une dynamique   de protection des forêts dénommée : Initiative interreligieuse pour les forêts tropicales (IRI). Cette initiative s’engage à collaborer avec les autochtones et défendre les valeurs favorables au maintien de la biodiversité. Ils ont été sensibilisés sur leur rôle et  influence morale dans la société et auprès des responsables politiques  pour soutenir le plaidoyer des peuples autochtones en faveur de la sécurisation des territoires de vie des autochtones pour garantir une conservation durable de la biodiversité.

8. Le soutien des politiques internationales et nationales à la  sécurisation et la promotion des territoires de vie des peuples autochtones et de leurs ressources naturelles.

Malgré l’évolution progressive du système légal national, visant à promouvoir certaines formes de sécurisation juridique des territoires traditionnels des communautés locales[1],les instruments internationaux de promotion des droits des peuples autochtones en termes de gestion des ressources naturelles et de  conservation de la nature[2] ne sont pas encore d’application dans les pays. De même, les initiatives menées par les peuples autochtones continuent d’être négligées dans de nombreux programmes nationaux de protection de l’environnement et de développement durable. Par exemple, les documents de contribution déterminée au niveau national (CDN) n’incluent pas de stratégies de gestion des ressources naturelles ou des droits fonciers communautaires des peuples autochtones pygmées dans leurs plans d’atténuation du changement climatique. De même, les rapports nationaux du gouvernement de la RDC à la Convention sur la Diversité Biologique n’ont jamais fait explicitement référence aux contributions  des  peuples autochtones et de leur mode de gouvernance de la biodiversité dans les efforts nationaux pour remplir les engagements internationaux dans sa stratégie et plan d’action nationaux en matière de biodiversité (SPANB).

Le festival a offert une occasion d’informer les participants sur les politiques et les décisions internationales sur la biodiversité. Il était question de sensibiliser sur le nouveau cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020  qui  devra être  adopté par les États.


[1] Décret  sur la foresterie communautaire et Arrêté 025 du 09 février 2016, portant dispositions spécifiques relatives à la gestion et l’exploitation des concessions des communautés locales. 

[2] La Convention sur la Diversité Biologique et le Protocole de Nagoya.

9. Élever et renforcer le rôle et la voix de la femme dans la préservation des savoirs et pratiques traditionnels pour la conservation durable de la biodiversité.

Le rôle de la femme autochtone est capital dans la préservation des savoirs et pratiques traditionnels et surtout le maintien des moyens de subsistance ainsi que l’utilisation durable des ressources  naturelles et de la biodiversité. Il est nécessaire d’élever leurs voix et de renforcer leur rôle, afin d’accroître leur participation et implication dans les décisions sur la gestion et la gouvernance des ressources naturelles. Le festival a été une grande opportunité pour la démonstration des talents des femmes dans la collecte et l’extraction des produits forestiers non ligneux, mais aussi et surtout les ressources fauniques.

10. Festival MBOSA, une opportunité pour la création des services et la valorisation économique de la production locale des communautés autochtones et locales de Kisimbosa.

Bien que visant la revitalisation et la promotion des savoirs et connaissances traditionnels, la première édition des journées locales agro-socio-traditionnelles MBOSA a été une très grande opportunité pour la valorisation économique de la production locale des communautés autochtones de Kisimbosa et celles des villages voisins. Le nombre important de participants et invités a fait émerger une forte demande  des produits locaux, en offrant 2 fois plus que le prix normal de vente sur des marchés, souvent bien éloignés de leurs villages, et situés à plus de 15 km de marche en forêts dans des conditions difficiles.

11. Relever les défis organisationnels pour mieux assurer la seconde édition du festival en 2022.

D’une prévision de 150 participants attendus à plus de 250 présents à l’événement, la première édition a connu une forte participation des  autochtones et membres d’autres communautés. Ce qui a causé un déséquilibre logistique tant sur le plan de l’hébergement que de la restauration. D’autre part, le festival s’est déroulé dans le contexte de la crise sanitaire marquée par le COVID19 et surtout les mesures imposées par les autorités nationales.

La deuxième édition prévue en juillet 2022 devra accorder plus de temps à une meilleure préparation en vue de garantir la réussite, ceci en mobilisant tant les moyens que les acteurs. La mobilisation médiatique sera d’une grande importance, ainsi que la préparation technique des communautés de Kisimbosa. La diversification des événements locaux ainsi que l’extension de la durée du festival au-delà de 3 jours sont autant de recommandations formulées par les participants à cette première édition.