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Compte-rendu : conférence sur les terres collectives, la biodiversité et les territoires de vie – garants locaux, dialogue national et connexions globales

L'événement a rassemblé des chercheurs des universités de Palerme, Padoue et Trente, ainsi que des représentants d’organisations de conservation de la biodiversité nationales et internationales, des administrateurs locaux, des associations pastorales et des centres de recherche sur les terres collectives italiennes

First published on 10/07/2025

Par Federico Bigaran, membre d’honneur du Consortium APAC, et Eleonora Fanari, coordinatrice régionale pour l’Europe du Consortium APAC


Les 19 et 20 juillet, le village historique de Geraci Siculo, situé dans le parc naturel régional des Madonie en Sicile (Italie), a accueilli une réunion de deux jours centrée sur le rôle crucial des Communautés Locales en tant que garantes des terres collectives, de la biodiversité et des territoires de vie. L’événement a rassemblé des chercheurs des universités de Palerme, Padoue et Trente, ainsi que des représentants d’organisations nationales et internationales de conservation de la biodiversité, des administrateurs locaux, des associations pastorales et des centres de recherche sur les terres collectives italiennes. Il visait à permettre un échange de connaissances et à identifier des stratégies pour renforcer le rôle des Communautés Locales dans la protection de la biodiversité.

Le couvent augustinien rénové, le village médiéval de Geraci Siculo (considéré comme l’un des plus beaux d’Italie) et le parc des Madonie ont offert un cadre magnifique pour l’événement. Pendant ces journées, le village a également accueilli le “Carvaccata di Vistiamara”, un cycle cérémoniel à travers lequel la communauté pastorale du village apparaît comme une référence pour l’identité de la communauté dans son ensemble. Ce rituel, documenté depuis 1643, est célébré tous les sept ans, le troisième dimanche de juillet.

La conférence s’est ouverte avec des salutations institutionnelles prononcées par les représentants des trois organisations soutenant l’événement : Luigi Iuppa, maire de la municipalité de Geraci Siculo, Ali Razmkhah du Consortium APAC et Marco Bassi du projet RuComItaly.

La première session, « Perspectives du sud et du nord de l’Italie (RuComItaly) », a présenté les résultats préliminaires du projet « Valoriser les communs ruraux pour une société plus verte et plus juste ».Il s’agit d’un Projet de recherche d’intérêt national (Nationally Relevant Research Project ou PRIN) qui adopte une approche interdisciplinaire pour comprendre les façons diverses dont les usages civiques et les droits fonciers collectifs sont interprétés et pratiqués à travers l’Italie. La reconnaissance du rôle important des terres collectives dans la conservation de la biodiversité et la gestion des ressources agro-sylvo-pastorales constitue le contexte plus large dans lequel s’inscrit le projet.

Le Pr Andrea Bonoldi de l’université de Trente a analysé l’expérience historique et institutionnelle de la Magnifica Comunità di Fiemme, examinant les facteurs qui ont permis la pérennité de cette communauté ancestrale, sa pertinence actuelle et ses perspectives, grâce à une gestion singulière du patrimoine environnemental. Le Pr Christian Zendri, de l’université de Trente, a partagé son expertise sur les transformations juridiques affectant les terres collectives en italie, se focalisant sur le passage de la « liquidation » à la reconnaissance des droits collectifs, ainsi que sur la prise en compte graduelle de l’importance de la propriété rurale collective pour la protection de l’environnement.

Le Dr Giacomo Pagot et la Pr Paola Gatto, de l’université de Padoue, ont discuté du « savoir écologique traditionnel ». Ils ont appliqué des méthodes avancées pour évaluer en quoi la pérennité des terres collectives soutient le maintien et la transmission du savoir écologique au sein des Communautés Locales.

Le Dr Giorgio Scalici, de l’université de Palerme, a présenté un travail de recherche ethnographique sur les usages civiques en Sicile, démontrant à la fois des forces et des faiblesses. Grâce à des entrevues et une observation participante de la vie des communautés, il a documenté les dynamiques et les stratégies d’organisation autonome employées pour protéger et maintenir les droits fonciers des citoyens dans des contextes vertueux, tels que Geraci Siculo et la région des Madonie. Pour conclure, la Pr Alessandra Pera a intégré des études historico-juridiques sur les usages civiques et les terres collectives en Sicile avec une revue critique d’une loi régionale actuellement en discussion, visant à harmoniser la législation sicilienne avec la loi nationale 168/2017. C’est une étape législative clé pour revitaliser le patrimoine et les droits civiques, qui sont actuellement niés sur une grande partie du territoire régional.

Un autre monde est possible : alternatives du Sud de l’Europe

L’intervention de la Pr Pera a lancé la deuxième session, un débat intitulé « Un autre monde est possible », avec la participation de représentants d’organisations de terres collectives. Carlo Ragazzi, président de la Fédération italienne des terres collectives « Pietro Nervi et Paolo Grossi » et du Consorzio degli Uomini di Massenzatica, a décrit la gestion dynamique de la terre collective du delta du Pô, qui s’étend sur 353 hectares et compte 600 familles membres, combinant usage agricole, projets sociaux et valorisation environnementale. Ce consortium réinvestit les profits dans des projets de développement inclusifs et a reçu le Prix du paysage du Conseil de l’Europe.

Federico Bigaran, du Réseau italien pour les territoires de vie, a souligné l’importance des territoires gouvernés par les Peuples Autochtones et les Communautés Locales — comme les terres collectives — dans la conservation de la diversité bioculturelle, de la nature et des paysages. Ces territoires intègrent le patrimoine naturel et culturel dans les modes de vie des communautés, la préservation du savoir intergénérationnel, la biodiversité, les paysages, les valeurs culturelles et les normes coutumières.

Marta Villaet Mauro Iob, du Centro studi e documentazione sui demani civici e le proprietà collettive de l’université de Trente, ont présenté un dialogue imaginaire pour illustrer les valeurs et l’importance de l’auto-détermination et de la gestion autonome dans la gouvernance territoriale, révélant également des conflits et des menaces pour les droits des communautés. Bartolo Vienna, ancien maire de Geraci Siculo, a fait part d’expériences de sauvegarde et de revitalisation des usages civiques pour soutenir le pastoralisme transhumant, qui est profondément ancré dans le territoire et coexiste maintenant avec les objectifs de conservation du parc des Madonie. La présence de jeunes générations engagées dans le pastoralisme donne de l’espoir pour le futur. Son intervention a généré un vif débat sur les enjeux spécifiques associés aux usages civiques en Sicile.

Recommandations politiques

Les politiques à adopter pour soutenir les domaines collectifs à la suite de la promulgation de la loi 168/2017 ont été au coeur de la session de l’après-midi de la conférence — un atelier facilité par Erica Frassetto et Chiara Spotornode Etifor–Valuing Nature, une des activités du projet RuComItaly.

La première partie a été consacrée à l’explication de la méthode de travail et du contenu principal des recommandations développées pour les domaines collectifs avec les organes représentatifs. Les messages clés sont les suivants :

  • Les terres collectives constituent un modèle de gestion territoriale communautaire et intergénérationnelle.  
  • La loi 168/2017 a marqué un progrès significatif mais se heurte à des obstacles : connaissance juridique limitée, défis en matière de coordination et accès restreint aux financements.
  • Solutions : investir dans la formation et la sensibilisation, encourager le regroupement entre les entités, faciliter l’accès aux financements et promouvoir le dialogue avec les institutions.

La deuxième partie de l’atelier a été dédiée à une discussion avec tous les participants sur des thèmes sélectionnés pour développer des recommandations adaptées aux contextes où les usi civici (usages civiques coutumiers) prévalent. Malgré tout, les organes représentatifs n’ont pas encore été mis en place. Le débat a abordé des enjeux qui restent très problématiques dans certaines situations — comme par exemple les relations avec les institutions qui gèrent les aires protégées. À cet égard, la contribution de Virgilio Morisi et Dario Novellino a été particulièrement pertinente. Ils ont exposé les difficultés rencontrées par les entreprises pastorales détentrices de droits usi civici rights opérant dans et autour du parc national des Abruzzes.

Stratégie du réseau et Consortium APAC

La deuxième journée, dans la chambre du conseil municipal, a été consacrée à la formation et à la planification pour le réseau national italien des territoires de vie, et animée par  Eleonora Fanari et Federico Bigaran.

Concernant la stratégie du réseau, la discussion a mis en lumière l’importance d’organiser et de participer à des initiatives à différents niveaux : international, européen, national, régional et local. Il est essentiel d’assurer la qualité de l’information, la concrétisation des actions et la clarté de la présentation des concepts, afin notamment d’éviter tout problème de représentation des informations.

Les objectifs identifiés pour le réseau incluent notamment : encourager la participation citoyenne ; promouvoir la reconnaissance des Communautés Locales ; favoriser le réseautage et les relations ; valoriser la production locale ; défendre les Communautés Locales face aux menaces externes sur leurs ressources ; fournir un soutien aux Communautés Locales par des particuliers, des associations et des institutions, notamment dans le contexte international ; influencer les politiques nationales et européennes.

La réunion s’est conclue par l’adoption des statuts  constituant l’Association italienne des territoires de vie.