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Le dernier rempart ? Une communauté gabonaise demande au gouvernement de mettre fin à l’exploitation de sa forêt sacrée, une initiative unique et historique

Dans le nord-est du Gabon, la communauté Kota de Massaha entretient ses terres coutumières et sa forêt sacrée depuis des générations. Elle cherche maintenant à obtenir une reconnaissance officielle du gouvernement et une protection contre la menace imminente de l'exploitation forestière

Assemblée Générale de la communauté de Massaha ce 26/01/22. Crédit: Ivindo FM

First published on 02/01/2022, and last updated on 03/10/2022

La communauté Massaha a réitéré sa demande de longue date au gouvernement gabonais d’arrêter l’exploitation forestière sur leurs terres coutumières et leur forêt sacrée et de la protéger en vertu de la législation en vigueur. Plus précisément, elle a soumis une demande officielle en août 2020 pour que le gouvernement déclasse les 11 300 hectares de sa forêt – y compris six sites sacrés et quatorze villages ancestraux – qui sont actuellement recouverts par une concession délivrée à la société forestière chinoise Transport Bois Négoce International (TBNI).

La demande de la communauté vise à ce que leur forêt soit reclassée dans le cadre de la législation gabonaise existante en tant qu’« aire protégée en domaine de chasse » qu’elle nomme Ibola Dja Bana Ba Massaha  –  la réserve de tous les enfants de Massaha. Cette initiative historique permettrait de créer la première aire protégée établie et dirigée par une communauté au Gabon.

L’exploitation forestière de TBNI située près de la commnauté de Massaha a déjà détruit neuf villages ancestraux. Dans une enquête de 2019, l’Agence d’Investigation Environnementale a décrit TBNI comme une entreprise ayant « un modus operandi axé sur le profit rapide et des pratiques d’exploitation qui ne respectent pas la loi. »

Selon plusieurs sources, TBNI a passé un contrat avec WCTS, « l’une des entreprises les plus crapuleuses du pays », pour commencer à exploiter une partie de la forêt qui n’a jamais été exploitée et qui abrite les sites sacrés du village, des zones de pêche et de chasse intactes, ainsi qu’une biodiversité abondante, notamment des espèces menacées comme les gorilles et les chimpanzés.

Le 13 janvier 2022, WCTS a commencé à rouvrir les anciennes routes forestières menant à la forêt non exploitée. Ils le font dans une concession d’une troisième société d’exploitation forestière actuellement fermée, KHLL, fondée en 2014 dans la Zone Économique Spéciale du Gabon. Les opérations d’exploitation forestière dans cette zone se font sans étude d’impact environnemental, comme exigé par la loi gabonaise. De nombreuses autres lois sont ignorées.

Le Gabon est l’un des pays les plus boisés du monde. Il est connu pour ses faibles taux de déforestation et ses efforts pour développer de solides politiques de protection des forêts. En 2019, dans le cadre de la Central African Forest Initiative, la Norvège a engagé 150 millions de dollars américains pour la protection de ses forêts, ce qui témoigne de la reconnaissance du leadership environnemental du Gabon dans la région.

À la demande de l’administration gabonaise, la communauté a organisé le 28 novembre 2021 sa troisième assemblée générale depuis la pétition de 2020 et a réitéré sa demande au gouvernement gabonais. Comme ils l’ont déclaré dans leur demande initiale, l’exploitation forestière risque de « détruire tous les fondements de notre village. Nous ne voulons pas être un village sans racine ni histoire » .

Suite à une série d’articles parus dans les médias nationaux et internationaux sur la situation, le Consortium APAC a envoyé une lettre le 21 décembre 2021 au Ministre des Eaux, des Forêts, de la Mer, de l’Environnement, Chargé du Plan Climat, des Objectifs de Développement Durable et du Plan d’Affectation des Terres, exprimant son inquiétude face à la situation actuelle et son soutien et sa solidarité avec la communauté de Massaha. Le 11 janvier 2022, le Consortium APAC a publié une alerte rappelant sa préoccupation et appelant les organisations et les individus alliés à se montrer solidaires avec la communauté et sa demande de reconnaissance et de protection de leur forêt sacrée.

Au moment de la publication, le gouvernement n’a pas encore répondu à la communauté ni à la lettre et à l’alerte du Consortium APAC. La communauté est profondément inquiète de perdre sa forêt sacrée et ses racines culturelles dans les jours et les semaines à venir si l’exploitation forestière n’est pas arrêtée.

Couverture médiatique nationale de l’assemblée générale de la communauté, diffusée le 31 janvier 2022 (06:28-08:45). Crédit : JTProvinces

Une opportunité pour le leadership

Lors du segment de haut niveau de la COP26 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques à Glasgow, le président de la République du Gabon, S.E. Ali Bongo Ondimba, a déclaré : « Le Gabon est le pays le plus positif en termes de carbone sur terre… J’ai l’intention de le maintenir ainsi… Nous devons faire preuve d’un leadership fort à l’égard de tous ceux qui nous regardent, en particulier les générations futures. »

Outre sa forte présence au sein de la Convention sur le climat, le Gabon est également partie à la Convention des Nations unies sur la diversité biologique et membre de la Coalition Haute Ambition pour la Nature et les Personnes (« High Ambition Coalition for Nature and People » en anglais). Le gouvernement a maintenant l’occasion de respecter ses engagements mondiaux et de démontrer son leadership en matière d’environnement en écoutant la demande de la communauté Massaha de mettre fin à l’exploitation forestière sur leurs terres coutumières et leur forêt sacrée et d’établir officiellement Ibola Dja Bana Ba Massaha comme une « aire protégée en domaine de chasse » en vertu de la législation nationale en vigueur. Pour assurer une conservation juste et efficace, la nouvelle aire protégée doit être gouvernée et gérée par la communauté, d’une manière autodéterminée qui soutienne les droits coutumiers, les moyens de subsistance et la culture des habitants de Massaha.

Contact

Milka Chepkorir, Coordinatrice du Consortium APAC, Défense des Territoires de Vie

E-mail : defending@iccaconsortium.org

Benjamin Evine-Binet, journaliste gabonais, boursier de National Geographic, de Pulitzer Center, et du fonds 2022 pour la résilience contre le crime organisé transnational. Suivez-le sur Twitter (@ivindofm) et Facebook (@ivindofm).

E-mail: ivindofm@gmail.com

À propos du Consortium APAC

Le Consortium APAC (https://www.iccaconsortium.org/index.php/fr/) est une association mondiale à but non lucratif qui se consacre au soutien des Peuples Autochtones et des communautés locales qui gouvernent et conservent leurs terres, leurs eaux et leurs territoires. Suivez-le sur Twitter (@ICCAConsortium), Facebook (@ICCAConsortium), Instagram (@territoriesoflife) et YouTube (@ICCAConsortium).