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Conférence des Nations Unies sur les océans 2022 : le pouvoir de l’action collective et de la résilience des communautés face aux défis locaux et mondiaux

La Conférence des Nations Unies sur les océans 2022 s'est tenue à Lisbonne, au Portugal, du 27 juin au 1er juillet 2022. Le Consortium APAC et plusieurs Membres et partenaires communautaires de douze pays insulaires et côtiers ont participé à la conférence. Ensemble, nous avons mis en avant les priorités autodéterminées des gardiens autochtones et communautaires des territoires de vie insulaires, côtiers et marins, ainsi que des pêcheries artisanales et à petite échelle, lors d'une conférence axée principalement sur des approches privilégiant le statu quo en matière de conservation des océans et des priorités économiques

Les pêcheurs et les représentants des communautés ont eu très peu d’occasions de participer au programme principal de la Conférence des Nations Unies sur les océans de 2022. Cette photo représente l’un de ces rares moments où Josefina Mata Ceja, de la communauté Boca de Camichin (partenaire de Nuiwari AC, Membre du Consortium APAC) à Nayarit, au Mexique, prend la parole lors de l’une des principales sessions officielles de la conférence. Photo : Joëlle Philippe/ CFFA-CAPE

First published on 09/20/2022, and last updated on 10/03/2022

Par le Consortium APAC

Lors de la Conférence des Nations Unies sur les océans de 2022, le Consortium APAC a soutenu la participation de diverses organisations Membres, de pêcheurs et de représentants des Peuples Autochtones et des communautés locales de douze pays insulaires et côtiers. Le Secrétariat et les Membres du Consortium APAC, dont CoopeSoliDar R.L., Observatorio Ciudadano, Costa Humboldt, Locally Managed Marine Area (LMMA) Network International et Blue Ventures, ont travaillé ensemble avant et pendant la conférence pour s’assurer de rendre la participation des représentants des Peuples Autochtones et des communautés locales non seulement possible mais aussi significative.

Au cours de la conférence, nous avons mis en avant ensemble les priorités autodéterminées des Peuples Autochtones et des communautés locales insulaires et côtières, ainsi que des hommes et femmes de la pêche artisanale. Dans la plupart des cas, ils ont participé et se sont exprimés lors des événements parallèles coorganisés par des organisations comme le Consortium APAC, des Membres et des partenaires. Ces événements ont donné lieu à de nombreuses discussions sur l’autodétermination, le consentement libre, informé et préalable, les approches de la conservation des océans fondées sur les droits humains, un espace juste et équitable pour la pêche artisanale et le financement direct de la conservation menée par les communautés.

La conférence était par ailleurs axée sur les soi-disant « solutions ». Cependant, celles-ci sont largement enracinées dans une approche exclusive de la conservation, dont l’expansion des aires marines protégées, qui promeuvent le statu quo et la logique top-down, ainsi que la monétarisation et la privatisation des espaces océaniques.

Les pêcheurs et les représentants des communautés ont eu très peu d’occasions de participer au programme principal, y compris aux sessions plénières et aux dialogues interactifs, qui ont donné la priorité aux voix des gouvernements et des grandes ONG de conservation. Les médias traditionnels ont rapidement fait l’éloge des engagements de plusieurs millions (et milliards) de dollars et autres promesses visant à étendre les aires marines protégées. Cependant, les implications potentielles de ces propositions pour les Peuples Autochtones et les communautés locales n’ont été que très peu ou pas du tout évoquées, pas plus que la prise en compte du nombre croissant d’éléments du droit international qui exigent la reconnaissance des droits, des systèmes de gouvernance et des pratiques coutumières des Peuples Autochtones et des communautés gardiennes dans toutes les activités susceptibles de les affecter.

Bien qu’ils aient été confrontés à plusieurs défis et formes d’exclusion pendant la conférence, les pêcheurs locaux et les représentants des Peuples Autochtones et des communautés se sont rassemblés et ont fait entendre leur voix, non seulement à Lisbonne mais aussi dans le monde entier, en partageant leurs histoires et leurs expériences. Leur capacité à relever ces défis témoigne de leur force interne, de leur solidarité et du pouvoir de l’action collective, ce qui en soi mérite d’être applaudi.

Dans cette courte vidéo du média hispanophone El Debate, des hommes et femmes autochtones et originaires de communautés de pêcheurs ou qui transforment des produits alimentaires demandent un siège à la table ronde et une reconnaissance pour leurs contributions à la pêche durable et à la santé des océans. Avec l’autorisation d’El Debate.

Événements parallèles coorganisés par le Consortium APAC et nos Membres

Le Consortium APAC et nos Membres ont coorganisé deux principaux événements parallèles, axés sur la pêche artisanale et à petite échelle et sur les territoires de vie côtiers et marins. En outre, certains de nos Membres, tels que CoopeSoliDar, LMMA Network International et Blue Ventures, ont coorganisé ou participé à d’autres événements parallèles, notamment sur les droits humains, l’égalité des genres, l’Objectif de développement durable 14 et le chalutage de fond.  

Dialogues pour la conservation marine et la pêche artisanale à petite échelle : une vision depuis la pêche artisanale à petite échelle, la quête d’équité, la justice sociale, la durabilité et la paix

Un appel à l’action des communautés de pêcheurs artisanaux, principaux usagers des océans : présentation officielle et dialogue

La participation aux sessions officielles entravée par le manque d’inclusion et d’accessibilité

Les pêcheurs et les représentants des communautés ont participé au programme principal de la Conférence des Nations Unies sur les océans 2022 en écoutant les sessions plénières et les dialogues. Cependant, on peut dire que cette participation n’a été ni significative ni efficace en raison du manque d’inclusion et de l’absence d’aide à l’interprétation – un aspect essentiel de l’accessibilité dans les forums internationaux.

Tout d’abord, les représentants communautaires ont eu très peu d’occasions de s’exprimer et de faire entendre leurs voix lors des sessions officielles de la conférence. À l’une de ces rares occasions, avec le soutien préparatoire de CoopeSoliDar, Josefina Mata Ceja, originaire de la communauté Boca de Camichin de Nayarit (communauté partenaire de Nuiwari AC, Membre du Consortium APAC) au Mexique, et Adama Djaló, une femme qui travaille à la transformation du poisson en Guinée Bissau, ont pris la parole lors du dialogue interactif sur le thème : « Rendre la pêche durable et permettre aux petits pêcheurs artisanaux d’accéder aux ressources marines et aux marchés ».

Josefina Mata Ceja de la communauté Boca de Camichin de Nayarit, au Mexique (communauté partenaire de Nuiwari AC, Membre du Consortium APAC) s’exprimant lors de la session officielle intitulée « Dialogue interactif : rendre la pêche durable et permettre aux petits pêcheurs artisanaux d’accéder aux ressources marines et aux marchés » Vidéo : CoopeSoliDar (Membre du Consortium APAC)

Josefina Mata Ceja a parlé de l’importance de la participation des communautés de pêcheurs, et plus particulièrement de la participation des femmes, dans le secteur de la pêche et dans la prise de décision concernant la conservation aquatique. Elle a encouragé les décideurs politiques à construire des infrastructures de base dans les centres de traitement du poisson et à fournir des services de base tels que l’eau potable, l’assainissement et les garderies pour les enfants. Elle a déclaré qu’un logement et des conditions de vie décentes sont nécessaires pour les femmes travaillant dans le secteur de la pêche et leurs familles, et que la conservation des océans ne peut être réalisée qu’avec l’égalité des genres, la participation des femmes, les droits humains intersectionnels et l’inclusion sociale.

Deuxièmement, nous nous attendions à ce que les sessions officielles de la conférence bénéficient d’une interprétation simultanée dans les principales langues de l’ONU, étant donné qu’il s’agissait d’un événement majeur de l’ONU, préparé depuis des années et organisé dans un lieu disposant d’installations professionnelles pour les conférences. Cependant, aucune interprétation n’a été fournie lors des sessions officielles de la conférence ni lors de la plupart des événements parallèles, y compris ceux organisés par des ONG internationales avec des délégations importantes. L’absence d’interprétation a créé un obstacle de taille à la participation significative et efficace non seulement des pêcheurs locaux et des représentants des communautés, mais aussi de nombreux autres délégués qui ne sont pas à l’aise pour communiquer en anglais. Cela remet sérieusement en question l’engagement de l’ONU et des organisateurs de la Conférence sur les océans en faveur de l’accessibilité et de l’inclusion, en particulier des personnes issues du Sud global.

Anticipant l’importance centrale du soutien linguistique à Lisbonne, le Consortium APAC a organisé l’interprétation simultanée entre l’anglais, l’espagnol et le français pour plusieurs réunions préparatoires et événements parallèles, afin que les délégués des communautés puissent communiquer entre eux et avec les autres participants. Nous sommes reconnaissants envers les interprètes, Xaviera Elorza Salinas, Juan Luis Cobano Jimenez, Saoussen Khalifa, Sterling Ellsworth, et Miguel Guardado Albarreal, pour leur soutien de qualité et leur empathie envers notre délégation. Si nous avions su à l’avance que les organisateurs de l’ONU ne fourniraient pas d’interprétation pendant les principales sessions de la conférence, nous aurions essayé de la fournir au moins pour notre délégation.

Il n’en reste pas moins que l’interprétation professionnelle aurait dû être assurée dans toutes les langues des Nations Unies tout au long de la Conférence de l’ONU sur les océans. Cela a aggravé les effets de l’exclusion générale des représentants des communautés lors des principales sessions de la conférence et a sans aucun doute contribué à l’absence de représentation des perspectives, des préoccupations et des recommandations des Peuples Autochtones et des communautés locales dans le principal document qui est ressorti de la conférence.

Document final de la conférence de l’ONU sur les océans : une déclaration politique dépourvue d’engagements significatifs pour les peuples de la mer

Lors de son discours d’ouverture, le Secrétaire général des Nations Unies a mis en garde le monde contre l’« état d’urgence des océans » et a déclaré : « Nous devons protéger les océans et les personnes dont la vie et les moyens de subsistance en dépendent des effets du changement climatique ». 

Malgré ces paroles inspirantes, la déclaration finale, qui constitue le principal résultat politique de la conférence, les ignore dans une large mesure, de même que les Peuples Autochtones et les communautés locales, qui jouent un rôle considérable dans le maintien, la conservation et la défense des territoires de vie insulaires, côtiers et marins du monde entier. La déclaration n’aborde pas les principaux facteurs de perte de biodiversité et ne reflète pas les messages formulés par les pêcheurs artisanaux et les pêcheurs à petite échelle ainsi que par les gardiens de la mer, autochtones et communautaires, avant et pendant la conférence et ses événements parallèles. Dans l’ensemble, elle ignore le rôle central des Peuples Autochtones et des communautés locales en tant que principaux promoteurs et leaders de la conservation des océans. Au lieu de cela, la déclaration comprend des appels tels que « l’intensification de l’action en faveur des océans fondée sur la science et l’innovation pour la mise en œuvre de l’Objectif 14 : bilan, partenariats et solutions avec la participation de la société civile et d’autres acteurs concernés ».

Bien qu’elle appelle à des « processus de collaboration pour la prise de décision qui incluent toutes les parties prenantes, y compris les acteurs de la pêche artisanale et à petite échelle », la conférence elle-même a exclu ce secteur des sessions officielles. De plus, la déclaration ne reconnaît pas les Peuples Autochtones, les communautés gardiennes de l’océan et les pêcheurs artisanaux et à petite échelle comme des détenteurs de droits, mais comme de simples parties prenantes.

La déclaration, intitulée « Notre océan, notre avenir, notre responsabilité », reconnaît à juste titre le « rôle important des connaissances, innovations et pratiques autochtones, traditionnelles et locales détenues par les Peuples Autochtones et les communautés locales » dans la conservation des océans. Mais elle ne reconnaît pas et ne promeut pas les droits humains de ces communautés et ne s’engage pas à faire respecter leurs droits à la gouvernance autodéterminée de leurs territoires de vie marins.

EN LIRE PLUS : « La conférence des Nations Unies sur les océans se termine sur des promesses. Un changement radical se prépare-t-il ? »- Mongabay (1er juillet 2022), en anglais.

Aider les communautés et gardiens autochtones à partager leurs expériences et à construire la solidarité

En tant qu’association basée sur l’adhésion, le rôle du Consortium APAC était de permettre à ses Membres et aux représentants autochtones et communautaires des territoires de vie de partager leurs expériences et leurs priorités autodéterminées directement avec les décideurs politiques lors de la Conférence des Nations Unies sur les océans. Cela comprenait diverses formes de soutien aux représentants des communautés pour se préparer et participer à la conférence, y compris l’organisation d’échanges et la fourniture d’un soutien logistique, linguistique et de communication pour identifier les sujets prioritaires, les questions, les préoccupations et les solutions qu’ils souhaitaient mettre en avant à Lisbonne, puis les partager par le biais de messages vidéo et amplifier leur portée au travers de médias virtuels.  

Au cours de la conférence de Lisbonne, nous avons demandé aux participants des communautés côtières et de pêche leur avis sur la façon dont un forum mondial comme la Conférence des Nations Unies sur les océans devrait les reconnaître et les inclure en tant que détenteurs de droits dans les zones côtières et marines, ainsi que leurs suggestions pour les futures conférences des Nations Unies sur les océans.

Dans cette série de vidéos, des homme et femmes de la pêche, autochtones et communautaires, ainsi que des dirigeants d’organisations de la société civile, s’expriment avec franchise sur leurs attentes vis-à-vis de la Conférence des Nations Unies sur les océans et présentent leurs suggestions pour améliorer la participation des communautés de pêcheurs titulaires de droits aux futures conférences. [Pour voir les sous-titres en français, vous pouvez cliquer sur paramètres et choisir “français” pour les activer.] Vidéos : Consortium APAC et Membres

Aaron Chacon du Costa Rica nous a confié que la Conférence des Nations Unies sur les océans était une expérience « douce-amère ». Il s’est déclaré heureux d’avoir participé à cette réunion mondiale et qu’au moins certaines personnes aient écouté les pêcheurs lors de plusieurs événements parallèles. Mais selon lui, le principal problème était que l’organisateur de la conférence, l’ONU, n’avait même pas envisagé que les pêcheurs puissent vouloir participer à la réunion. Cela lui a paru évident à bien des égards pendant la conférence, au point qu’il s’est parfois senti « invisible ».

Voilà une expérience et une observation très révélatrices qui, à bien des égards, touchent au cœur des préoccupations des délégués communautaires. La conférence des Nations Unies sur les océans est un forum majeur sur les questions côtières et marines. Elle vise à trouver des solutions et à susciter une volonté politique pour relever collectivement certains des défis les plus pressants de la planète. Le fait que les Peuples Autochtones et les communautés locales, qui sont les principaux détenteurs de droits et protecteurs des îles, des côtes et des océans, ainsi que des diverses formes de vie qu’ils abritent, soient exclus de forums mondiaux tels que la Conférence de l’ONU sur les océans n’est pas de bon augure pour l’avenir de notre planète.

Les communautés de pêcheurs marquent des points malgré les difficultés

Malgré de nombreux défis, les participants autochtones et locaux étaient présents et ont apporté des contributions importantes à la conférence et aux événements parallèles. Leur simple présence dans un espace aussi contesté a marqué les autres personnes présentes. Ce type de participation organisée des pêcheurs à une conférence des Nations Unies a été remarqué par d’autres et a contribué à promouvoir une meilleure reconnaissance de leurs droits et une conservation plus holistique de nos écosystèmes aquatiques.

Lors de futures conférences, la participation des pêcheurs artisanaux et à petite échelle et des gardiens de la mer autochtones et communautaires ne doit pas se limiter à des événements parallèles. Ils ont le droit d’être à la table des sessions principales et des espaces de décision de ces conférences de l’ONU, où les plans importants qui sont préparés, les déclarations qui sont émises et les engagements qui sont pris ont un impact direct sur leurs vies et leurs territoires.

En amont de la Conférence des Nations Unies sur les océans de 2022 à Lisbonne, le Consortium APAC a organisé un webinaire intitulé « Un voyage à travers les territoires de vie côtiers et marins ». Un groupe diversifié de pêcheurs autochtones et communautaires, de dirigeants et d’organisations de soutien du monde entier ont partagé leurs histoires et leurs expériences au cours de cet échange en ligne. Cette liste de lecture sur la chaîne YouTube du Consortium APAC comprend tous les exposés et présentations du webinaire. Vidéo : Consortium APAC

Ces communautés sont des titulaires de droits – et non de simples parties prenantes – et elles doivent être reconnues et respectées en tant que telles dans les forums multilatéraux tels que la Conférence des Nations Unies sur les océans. On assiste à une dynamique importante de reconnaissance des droits, des rôles et des contributions des Peuples Autochtones et des communautés locales au maintien et à la défense d’une planète saine pour tous, y compris les îles, les côtes et les océans ainsi que la diversité de la vie qu’ils abritent. Nous avons besoin de défenseurs et d’alliés dans le monde de la conservation, parmi les bailleurs de fonds, les responsables gouvernementaux et les décideurs politiques, mais aussi les journalistes, les avocats, etc., pour aider à créer et à préserver un espace pour ces détenteurs de droits et leur permettre de s’exprimer en leur nom propre dans les nombreux processus décisionnels qui les concernent.

Remerciements

Nous sommes très reconnaissants aux Fondations Packard et Oak pour leur généreux soutien à plusieurs membres de notre délégation, ainsi que pour l’aide à la communications et l’assistance linguistique fournies pour lui permettre de participer à la conférence des Nations Unies sur les océans.

Traduction : Jina Ratsimba, Rachel Babin et Gaëlle Le Gauyer.

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