First published on 12/18/2018
Burkina Faso – L’APAC du mois
Par Alexis Kaboré, Coordinateur du Consortium APAC pour le Sahel
La Zone de Pâture Intercommunautaire de Namoungou (ZPIN) est une des APAC emblématiques du Burkina Faso. Elle est située dans la partie est du pays. C’est une brousse d’une superficie de 12 187 ha abritant les principales espèces forestières et d’herbacées (fourrage) du Burkina. La zone renferme en son sein un bois sacré d’une grande importance pour les autochtones gourmantchés. Elle est essentielle pour les près de 24 000 habitants des 14 communautés villageoises qui l’entourent. En effet, elle est le principal espace dédié à leurs activités pastorales et à celles des éleveurs transhumants. Les troupeaux sont surtout composés de bœufs et de moutons et le reste de ce territoire est occupé par les exploitations agricoles, les aires de conservation de la faune sauvage et les constructions. De par leur prédilection pour l’élevage, les Peuls sont les plus représentés dans l’activité mais également dans la défense, l’utilisation et la gouvernance de la ZPIN. La gouvernance repose sur une institution traditionnelle des éleveurs Peuls, le « Rouga » : chef Peul des éleveurs d’une zone regroupant plusieurs villages. Chaque village a un chef Peul et l’ensemble des chefs Peuls élisent entre eux un Rouga chargé de représenter tous les éleveurs, de prévenir et de régler les conflits et de veiller aux bonnes conditions de la pratique pastorale dans sa zone de compétence.
Le dernier trimestre de l’année 2018 a été marqué par une intense activité de concertations concernant la Zone de Pâture Intercommunautaire de Namoungou. Les éleveurs, voyant que leur droits n’étaient pas suffisamment reconnus, ont fini par utilisé un levier jusqu’à lors extrêmement peu effectué en milieu rural – la grève – pour faire entendre leurs revendications légitimes liées aux menaces qui pèsent de plus en plus fortement sur leurs mode de vie et sur la durabilité de leurs moyens d’existence. Des pourparlers avaient eu lieu entre les représentants des éleveurs, des agriculteurs, des administrations gouvernementales, des collectivités (commune, région) et la cour royale, qui règne sur la région sur le plan coutumier. La négociation porta sur la revendication des éleveurs exigeant le respect d’une des règles traditionnelles fondamentales de la ZPIN : l’interdiction de toute défriche agricole dans la zone en vertu de sa vocation exclusivement pastorale.
L’issue des pourparlers a été favorable aux éleveurs mais ça n’a pas été facile : Cette forte période de conflit a mené à une grève inédite des éleveurs qui ont purement et simplement suspendu leurs approvisionnements en animaux au marché régional de bétail.
Réunis en grande concertation par leur Rouga, les éleveurs ont pris la décision de suspendre tout approvisionnement d’un des principaux marchés au bétail du pays, celui de Fada N’Gourma. Cette ville, Chef-lieu de la Région de l’Est, héberge le principal lieu d’achat de bétail pour les gens de la région, mais aussi du Burkina Faso et même des pays voisins jusqu’au Nigéria. Vu l’importance des bœufs et des moutons pour la population (pour la viande et les multiples usages de ces animaux), cette rupture d’approvisionnement a provoqué une crise d’ampleur. La pénurie ainsi provoquée a été d’autant plus ressentie que la période de la grève a été choisie à dessein : le mois de la fête de la Tabaski (fête du mouton) où tous les musulmans doivent immoler un mouton pour le repas. Deux semaines durant, le marché est resté vide. L’événement a fortement préoccupé la population et les autorités et l’information y relative s’est répandue dans toute la région et bien au-delà, puisqu’il a fait la une tous les médias : journaux, radio, télévisions, internet.
Cette grève a permis aux éleveurs de démontrer leur importance dans l’échiquier socio-économique de la région. L’évènement a contraint les administrations publiques et les agriculteurs à accepter une véritable concertation avec les éleveurs permettant une résolution définitive et pacifique du problème. Le procès-verbal, signé de toutes les parties, fixe la fin de l’occupation agricole de la ZPIN à compter du 1er février 2019. Une entente a été trouvée avec les agriculteurs qui, ainsi, libéreront les lieux après les récoltes en cours (jusqu’en janvier) et pourront investir, à partir de la campagne agricole prochaine, les terres à leur disposition hors de la ZPIN.
Par cet exemple, les éleveurs pasteurs de l’Est burkinabè ont démontré l’efficacité de la grève comme moyen de défense d’une APAC.