First published on 02/19/2020, and last updated on 05/29/2020
Par Mihanta Tsiorisoa Bakoliarimisa, Présidente du Comité des Politiques et du Programme du Consortium APAC et secrétaire technique de TAFO MIHAAVO, Membre du Consortium APAC.
À Madagascar, notre membre TAFO MIHAAVO et le Malagasy Youth Biodiversity Network se sont unis pour rassembler Fokonolona et jeunes, afin d’analyser la gouvernance et la gestion actuelles de la biodiversité à Madagascar et dessiner ensemble un avenir commun pour préserver la biodiversité à Madagascar.
Les Fokonolona -ou communauté locales- et les jeunes sont deux groupes d’intérêts souvent marginalisés quand il est question de gouvernance de la biodiversité.
Cependant, ce sont également des acteurs incontournables de par leur relation culturelle et socio-économique avec la nature. En effet, les Fokonolona ont déjà pris leurs responsabilités en matière de conservation, pour léguer un environnement préservé aux futures générations. Ils assument ces responsabilités, qui découlent de leurs droits et obligations, et sont intimement liés au cadre légal existant, notamment les conventions internationales comme la Convention sur la Diversité Biologique et ses protocoles. Sa mise en œuvre se traduit à Madagascar par une stratégie et un plan d’action national sur la biodiversité.
Convaincus d’avoir leur mot à dire, TAFO MIHAAVO et Malagasy Youth Biodiversity Network ont unis leur voix pour exprimer leurs points de vue et plaider pour la cause des générations présentes et futures.
Rassembler jeunes et Fokonolona pour dessiner un futur commun et préserver la biodiversité de Madagascar
A cet effet, les 17 et 18 Février 2020, un atelier de consultation nationale a été co-organisé avec le soutien du Consortium APAC et de SwedBio pour démontrer cette interaction positive entre les Fokonolona et les jeunes et évoquer leurs visions du futur commun de la biodiversité unique Malagasy. Comme le dit un proverbe africain « Youth can run fast but the elders know the road » (« les jeunes courent vite mais les aînés connaissent le chemin »), combiner la force de la jeunesse et l’expertise des sages des communautés locales nous mènera loin !
Trente et un représentants de TAFO MIHAAVO issus des communautés locales et du secrétariat technique national et régional, originaires de vingt régions différentes, ainsi que vingt représentants de jeunes ont participé.
C’était la première rencontre des communautés membres de TAFO MIHAAVO cette année, et ce fût donc un rassemblement riche en débat et partage d’expériences sur les défis du quotidien. En effet, Madagascar regorge non seulement d’une diversité biologique impressionnante mais aussi de singularités culturelles et sociales propre à chaque région.
Il n’a pas toujours été facile de faciliter les discussions pendant l’atelier et aboutir à une résolution commune ! Par conséquent, les communautés locales et les jeunes ont discutés séparément, puis sont revenus avec leur résolutions propres qui au final ont révélé des similarités, des complémentarités et des spécificités.
Au cours de ces discussions, les participants ont analysé l’avant-projet « zéro » du cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020. Cet exercice a permis d’identifier les causes prioritaires que ces deux groupes d’intérêt défendent. Bien que ce soit des groupes différents de par leur nature et leurs intérêts, des priorités communes ont émergé et ont permis de dessiner un futur commun pour préserver la biodiversité de Madagascar à travers les générations.
Analyser ensemble la gouvernance et la gestion de la biodiversité actuelle à Madagascar
Les réflexions ont porté sur les trois types d’écosystèmes présents dans la grande île et dont les membres de TAFO MIHAAVO sont les communautés gardiennes, selon des mandats de gestion de jure ou de facto. Il s’agit d’écosystèmes forestiers, des eaux continentales, ainsi que d’écosystèmes marins et côtiers.
La méthodologie adoptée pendant la consultation a été développée par la section nationale du Global Youth Biodiversity Network et se fonde sur une démarche participative et itérative.
Une première analyse s’est focalisée sur le contexte actuel de la gouvernance et la gestion de la biodiversité à travers un tableau interactif à travers lequel les participants ont pu s’exprimer librement sur :
- les causes qui limitent la gestion durable de la biodiversité selon les trois différents types d’écosystèmes ;
- les actions prioritaires à engager pour assurer la gestion durable de la biodiversité ;
- les actions menées actuellement par les différents acteurs qu’il faut maintenir pour la gestion durable des écosystèmes forestiers, des eaux continentales et des zones marines et côtières ;
- les actions que les jeunes/communautés locales s’engagent de faire pour la gestion durable.
Une priorisation par « dotcracy » a par la suite été effectuée pour identifier les sources de la gestion ineffective et inefficace des forêts, eaux continentales, zones marines et côtières parmi les causes évoquées par les participants. Cette méthodologie consiste à noter avec des points soit de 1 à 5 en fonction de l’importance des causes mentionnées.
A l’unanimité, tous les groupes de discussion ont établi la priorisation suivante :
- la corruption généralisée au niveau du pays dans tous les secteurs est la cause première ;
- vient ensuite l’impunité face aux exploitations illicites qui minent la gestion durable des ressources naturelles ;
- les financements/accords d’exploitations affectant les terres gérées par les communautés locales sans consultation publique ni consentement préalable ;
- la faible intégration des communautés locales et des jeunes dans la prise de décision liée à la gestion de la biodiversité ;
- et finalement le manque de moyens adéquats et ressources suffisantes alloués à la gestion durable de la biodiversité.
Au vu de la difficulté de générer un consensus satisfaisant pour tout le monde, il semble évident que ce processus consultatif doit continuer à être promu pour que les politiques de gouvernance de la biodiversité reflètent la diversité des intérêts, des aspirations et des expertises de chaque groupe. En effet, l’atelier a été riche en débats, notamment pour consolider les résultats, car même quand les participants font face aux mêmes problèmes, ils n’y accordent pas toujours la même importance.
Partager collectivement ces analyses avec les autres parties prenantes
Après cette première journée de réflexion partagée entre les deux organisations hôtes, la deuxième journée a consisté en un échange avec d’autres parties prenantes, notamment trois représentants du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, neuf représentants de FANONGA et des organisations de la société civile, et trois représentants des partenaires techniques et financiers. Ce fût l’occasion de leur présenter les résultats de la consultation réalisée le jour précédent et recueillir leurs recommandations ainsi que leur adhésion en tant que partenaires et alliés de plaidoyer. Ainsi, une déclaration résumant les résultats de la première journée a été partagée avec les autres parties prenantes afin de :
- reconnaître les efforts qui ont déjà été entrepris et qui méritent d’être continués notamment l’expression de la volonté politique par les dirigeants de fournir des efforts de conservation à travers la vision « reverdir Madagascar » ;
- faire connaître les préoccupations sur les problèmes persistants et les menaces qui pèsent sur la biodiversité de Madagascar et ses communautés gardiennes ;
- proposer les actions prioritaires à entreprendre pour assurer une équité intra et intergénérationnelle, parmi lesquelles la nécessaire reconnaissance des droits et responsabilités des Fokonolona dans la gouvernance et la gestion communautaire durable des ressources naturelles ;
- réitérer les engagements des Fokonolona gestionnaires des ressources naturelles.
Les principales recommandations exprimées par les Fokonolona et les jeunes présents sur l’avant-projet zéro du cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 sont les suivantes :
- L’approche basée sur les droits ne devrait pas être dissociée des responsabilités et obligations ou engagements des détenteurs de droits et de toutes les parties prenantes, pour démontrer une appropriation du nouveau cadre mondial et une volonté de le mettre en œuvre ;
- La participation effective des communautés locales durant tous les processus de prise décision sur la conservation de la biodiversité à tous les niveaux doit être garantie tout en prodiguant les mesures de facilitation nécessaire pour cela ;
- Sur l’objectif 2 : la conservation de forteresse doit être abandonnée en faveur d’une reconnaissance des aires et territoires de conservation communautaires, en prenant en compte leur système de gouvernance locale et traditionnelle;
- Sur l’objectif 8 : les exploitations agricoles communautaires des terres devraient être favorisées au détriment des exploitations industrielles;
- Sur l’objectif 11 : l’effectivité de retombées équitables pour les communautés locales sources des ressources et des connaissances doit être favorisée notamment dans l’exploitation des plantes médicinales;
- Sur l’objectif 16 : les processus naturels devraient être favorisés par rapport à la biotechnologie afin de permettre à la nature d’évoluer naturellement ;
- Sur l’objectif 18 : le système éducatif devra susciter l’utilisation et l’apprentissage des langues autochtones afin de maintenir les identités culturelles des communautés locales à travers les générations.
Les feedbacks des partenaires et autres parties prenantes présentes durant cette journée ont été constructives : certains ont annoncé leur désaccord, d’autres ont affirmé leur soutien et certains ont fournis des pistes d’informations pour enrichir les résultats.
Par ailleurs, ce genre d’atelier est une des rares occasions où les communautés locales peuvent s’exprimer devant différentes parties prenantes qui ne sont pas toujours à leur écoute dans leur lutte quotidienne. En effet, il n’est pas toujours possible d’investir des ressources souvent limitées pour agir et mener un combat commun auprès des décideurs. Le seul moyen dont les communautés locales et les jeunes disposent pour faire la différence est d’unir leur voix pour mener à un changement réel des politiques qui guident la gouvernance de la biodiversité, jusqu’à l’heure inadaptées et inefficaces.
Les Fokonolona ne cesseront de réclamer haut et fort jusqu’à ce qu’ils obtiennent la reconnaissance qui leur revient de droit. La lutte continue pour les générations successives !
Porter la voix des jeunes et des Fokonolona à Rome, au cours des négociations du cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020
Après cette consultation, une délégation constituée de trois personnes (le vice-président et la secrétaire technique de TAFO MIHAAVO ainsi que le leader traditionnel de l’APAC-territoire de vie emblématique de l’île Sakatia) a participé à la deuxième réunion du groupe de travail à composition non-limitée sur le cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 afin de porter la voix et les messages des Fokonolona et des jeunes de Madagascar à Rome, en Italie, du 24 au 29 février 2020.
Pour apprendre plus sur le cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020, visitez la page post-2020.
Des échanges en perspectives
Cet atelier a aussi débouché sur la création de partenariats : des jeunes issus des milieux urbains ont exprimé leur souhait de se rendre au sein des territoires de vie des communautés locales pour renforcer les capacités de leur pairs au niveau des Fokonolona, et par la même occasion acquérir plus d’expérience de terrain. Un renforcement mutuel qui se basera sur des échanges et partages de connaissances avec une synergie d’actions entre Fokonolona et jeunes de Madagascar !
Image de couverture : Notation par “dotcracy” durant le premier jour d’atelier © Masy Miary Razafindrakoto.