Les déplacements et les expulsions ont affecté la santé mentale et le bien-être des éleveurs pastoraux en les laissant dans un état de détresse et de dépression
First published on 12/23/2024
Par Paul Saing’eu
Les éleveurs pastoraux d’Afrique de l’Est ont à la fois relevé des défis et réalisé de grands progrès. Depuis des siècles, nous dépendons de nos territoires et de notre bétail, qui sont nos piliers économiques et sociaux.
Les communautés telles que les Masaï sont connues pour leurs traditions ancrées de longue date, avec lesquelles elles vivent toujours aujourd’hui. Elles pratiquaient des systèmes de transhumance bien avant le colonialisme et après l’indépendance des états-nations.
Toutefois, les éleveurs pastoraux ont longtemps été contraints de s’installer au sein de frontières « modernisées » ou politiquement conçues pour les apprivoiser et les mettre en cage car les gouvernements continuent à les considérer comme une nuisance pour la conservation et la modernité.
J’aimerais aborder ici les trois défis principaux auxquels sont confrontés les éleveurs pastoraux, notamment ces derniers temps.
Quelques communautés, comme les éleveurs pastoraux, ont vu venir le changement climatique avant même que les gouvernements nationaux ne commencent à en parler. Le changement climatique est désormais un sujet d’actualité pour les éleveurs, qui sont durement touchés par ses réalités.
En Afrique de l’Est, par exemple, une série d’effets résultant du changement climatique ont été ressentis, rendant ces communautés plus vulnérables et susceptibles d’en subir des conséquences encore plus dévastatrices.
Parmi ces effets, nous comptons : la diminution et la perte des pâturages, l’augmentation des terres mises à nu et de la déforestation pour l’expansion des terres agricoles, les conflits intertribaux et claniques dus à la pénurie de terres, et les conflits liés à la surpopulation, qui s’aggravent à mesure que les ressources telles que l’eau et les pâturages se raréfient.
Le changement climatique a également exacerbé l’augmentation des maladies hydriques et zoonotiques, telles que la fièvre aphteuse chez les ovins, les caprins et les bovins. Dans le même temps, les populations souffrent d’épidémies de typhoïde et de choléra.
Suite aux fortes pluies qui se sont prolongées cette année, la plupart des régions d’Afrique de l’Est ont récemment connu de nombreux glissements de terrain, des ruptures de barrages et l’emportement de récoltes, de maisons et de biens. Des touristes se sont retrouvés bloqués et ont perdu la vie dans des rivières et des ruisseaux en crue, exceptionnellement alimentés pendant la saison des pluies. Ce phénomène s’est avéré être un indicateur majeur du changement climatique et a durement frappé les éleveurs pastoraux. La crainte de sécheresses et de famines sans précédent est encore plus évidente et inquiétante.
Bien que les pluies abondantes soient toujours une bénédiction pour les éleveurs de bétail tels que les Masaï, les Datoga, les Sukuma et d’autres, la destruction des marchés et la fluctuation des prix due à la mauvaise santé du bétail est une autre bataille qu’ils doivent gagner. Cela les oblige à engager des dépenses importantes en médicaments vétérinaires et en sel pour vermifuger, réchauffer et soigner leurs animaux.
L’Organisation mondiale de la santé a récemment annoncé que la santé mentale était un critère essentiel du développement humain. Les éleveurs pastoraux ne sont ni à l’abri des problèmes de santé mentale, ni loin de leurs effets.
Les déplacements et les expulsions qui ont lieu dans de nombreuses régions d’Afrique de l’Est, qu’ils soient dus à des politiques défavorables principalement axées sur la création de zones de conservation-forteresse ou à des catastrophes naturelles, ont affecté la santé mentale et le bien-être des éleveurs pastoraux, créant ainsi un état d’impuissance et de dépression dû à la perte de leur bétail en raison d’actions de l’état ou de sécheresses et de famines, de suicides, de crises de panique, de phobies et de toute une série d’angoisses associées aux expulsions et à la perte de biens.
De tels effets ont causé de la violence de genre et la désintégration des familles. Les hommes ont été victimes d’un alcoolisme incontrôlé..
La plupart des appareils d’état en Afrique de l’Est, dans le but de créer davantage d’investissements et de modèles non favorables incompatibles avec les modes de vie des éleveurs pastoraux, violent les droits humains, entraînant la perte de vies humaines et l’appropriation de terres, laissant ainsi les éleveurs pastoraux dans un état de pauvreté abjecte, ce qui affecte en fin de compte leur bien-être général et leurs droits humains.
L’incarcération et le déplacement des éleveurs pastoraux de leurs terres ancestrales et la perte de leur culture en raison de l’adoption forcée d’un style de vie moderne incompatible avec le mode de vie autochtone, notamment l’adoption de l’agriculture, qui nécessite le défrichage de vastes étendues de terres pour l’exploitation agricole, sont d’autres facteurs d’aggravation de ces défis. Cette pratique réduit encore les pâturages et exacerbe les conflits entre agriculteurs et éleveurs.
Recommandations
- Renforcer le plaidoyer en faveur de politiques favorables à la coexistence de la faune sauvage et des éleveurs pastoraux. Des liens intersectoriels sains sont nécessaires pour développer des cadres favorables aux éleveurs pastoraux et à leur mode de vie.
- Augmenter la documentation sur les connaissances traditionnelles et les territoires de vie des éleveurs pastoraux.
- Développer les infrastructures sociales, y compris autour de la santé mentale, pour aider les éleveurs pastoraux et les autres communautés autochtones à faire face aux facteurs de stress pendant les périodes et les situations difficiles.
- Mobiliser et collecter des fonds pour apporter une aide juridique aux défenseurs des droits humains en matière d’environnement dans le cadre de procédures judiciaires liées à des conflits fonciers.
- Développer, adopter et promouvoir des modèles de propriété foncière qui soutiennent et préservent les territoires de vie des Peuples Autochtones.
- Renforcer la mise en œuvre de bonnes pratiques agroécologiques afin de réduire la dégradation des sols.
- Adopter des races de bétail résistantes à la sécheresse.
À propos de l’auteur
Paul Saing’eu est un éleveur pastoral Masaï du district de Ngorongoro, dans le nord de la Tanzanie. Cofondateur de Wings of Mercy Psychological Support Organization (Organisation de soutien psychologique Wings of Mercy, WMPSO), il joue un rôle de premier plan dans la promotion des droits humains et des droits fonciers, ainsi que dans la défense des territoires de vie des Peuples Autochtones et des communautés locales. WMPSO collabore avec des organisations environnementales et de justice sociale comme Ujamaa Community Resource Team (UCRT). Paul est le coordinateur régional pour l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique au Secrétariat du Consortium APAC.