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Des représentants autochtones et communautaires d’Afrique dénoncent les injustices historiques et persistantes commises au nom de la conservation et formulent des demandes claires lors du congrès régional sur les aires protégées

Au nom de près de 150 participants qui s’étaient réunis avant le Congrès lors d’un atelier organisé par IMPACT Trust Kenya et le Consortium APAC, Milka Chepkorir a prononcé le discours suivant lors de la plénière d'ouverture du Congrès de l'UICN sur les aires protégées en Afrique, le 18 juillet 2022 à Kigali, Rwanda

Les médias et les récits grand public ont tendance à présenter les savanes d’Afrique de l’Est de façon romantique, comme des paysages « vierges » dépourvus de vie humaine, voire à dépeindre les éleveurs pastoraux comme des ennemis de la faune sauvage. Au contraire, les cultures, les identités et les modes de vie de nombreux éleveurs pastoraux sont profondément liés à la faune sauvage et aux terres et territoires collectifs dont ils dépendent. Photo : Roshni Lodhia

First published on 07/20/2022, and last updated on 08/01/2022

Milka Chepkorir lors de la séance plénière d’ouverture du Congrès. Vidéo reproduite avec l’aimable autorisation du Congrès de l’UICN ; clip préparé par Ines Hirata/Consortium APAC.

Chers dignitaires, et dans le respect de tous les protocoles, comme nous disons selon nos coutumes traditionnelles, mes aînés, mes pères, mes mères, mes frères et mes sœurs, je vous salue toutes et tous.

Je m’adresse à vous en tant que femme autochtone Sengwer du Kenya. Nous, les Peuples Autochtones et les communautés locales, avons vécu de nombreuses expériences de conservation qui ont mal tourné : violations des droits humains, expulsions forcées, dépossession, déplacement et violence, et mêmes des morts.

Notre expérience n’est pas un cas isolé. Beaucoup de gens ont perdu leurs zones de chasse et de cueillette, de pâturages et de pêche, au profit d’aires protégées privées ou gérées par l’État, et nous sommes maintenant considérés comme des ennemis de la faune sauvage avec laquelle nous avons toujours vécu en paix.

Tout cela va à l’encontre d’engagements tels que ceux du Congrès mondial sur les parcs de l’UICN, qui s’est tenu à Durban en 2003, où trois objectifs ont été établis : le consentement libre, informé et préalable pour l’établissement de toute nouvelle aire protégée ; la participation significative des Peuples Autochtones et des communautés locales à la gouvernance des aires protégées ; et la restitution des terres perdues par les communautés au nom de la conservation.

Vingt ans plus tard, nous en sommes toujours là, à parler des mêmes sujets. Et j’aimerais aussi souligner qu’il n’a pas du tout été facile pour nous de nous réunir ici et d’obtenir une véritable place pour exprimer nos points de vue et proposer des solutions pour l’avenir.  

En même temps, nous savons que notre monde est confronté à une crise – nous perdons la biodiversité à un rythme effrayant et le climat change, rendant notre planète invivable pour nous tous.

Malheureusement, la réponse du monde de la conservation, adoptée dès l’époque coloniale, a été maintenue et même renforcée par une militarisation accrue. Ces approches n’ont pas apporté de véritable solution à cette crise, et en plus de cela, elles ont causé des dommages et des traumatismes indicibles à ces mêmes citoyens que les gouvernements devraient considérer comme des protecteurs de l’environnement. Dire que tout cela appartient au passé serait un mensonge. Au moment où vous m’écoutez, c’est ce que vivent mes frères et sœurs.

La seule conclusion possible est que l’argent fourni aux gouvernements africains et aux ONG internationales pour soutenir ces actions a été et continue d’être le principal moteur de ces pratiques omniprésentes, persistantes et souvent perverses.

Néanmoins, à l’occasion du premier Congrès africain sur les aires protégées, ici à Kigali, nous espérons, avec nos ancêtres et les générations futures, que les choses peuvent et vont changer.

Un groupe de représentants de Peuples Autochtones et de communautés locales de toute l’Afrique s’est réuni ces deux derniers jours [14-15 juillet]. Voici nos demandes :

  • Que cessent les menaces, les intimidations, les violences et les expulsions violentes, l’aliénation des terres ainsi que la criminalisation et l’emprisonnement des dirigeants et des membres des communautés. Que des espaces soient créés pour de véritables délibérations en vue de décisions inclusives pour la gestion des ressources naturelles.
  • Que les gouvernements africains fassent davantage pour reconnaître, accorder et respecter les droits de propriété collective coutumière des Peuples Autochtones et des communautés locales.
  • Que la mise en place de la proposition de cible 30×30 n’entraîne pas la perte de terres pour les Peuples Autochtones et les communautés locales, mais qu’au contraire nous soyons impliqués et soutenus, à la fois en termes de capacités et de moyens, pour être les principaux protecteurs et gardiens de ces zones.
  • Que les gouvernements respectent et appliquent les décisions des différents mécanismes et structures de l’Union africaine. Ce respect implique de mettre fin aux résistances à la mise en œuvre des résolutions et des jugements déjà accordés.
  • Que l’aide à la conservation et au développement soit directement canalisée par nos institutions traditionnellement reconnues afin de renforcer et de promouvoir les systèmes de gouvernance des communautés. Que de nouveaux mécanismes et pratiques soient développés pour canaliser les financements directement vers les Peuples Autochtones et les communautés locales, afin de lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité directement au niveau du « point d’impact ». Les bailleurs de fonds de la conservation doivent prendre leurs responsabilités et cesser de financer les gouvernements et les acteurs qui ne respectent pas une approche de la conservation basée sur les droits et, en particulier, ils doivent cesser de permettre la militarisation de la conservation.
  • Que des cadres institutionnels soient créés par l’ « Appel à l’action de Kigali » pour permettre aux Peuples Autochtones et aux communautés locales de s’engager de manière significative en tant que partenaires dans la mise en œuvre et le suivi des différents appels et déclarations, y compris dans les réunions et processus futurs du Congrès africain des aires protégées.

Au moment où nous nous installons pour plusieurs jours de conversation les uns avec les autres, puisse l’avenir de la Terre Mère nous juger favorablement pour les actions que nous entreprenons et les déclarations que nous faisons. Nos traumatismes, nos droits et notre souhait d’être les premiers protecteurs des ressources naturelles d’Afrique ne doivent pas être balayés sous le tapis une fois de plus. J’exhorte les gouvernements et les acteurs de la conservation à forger des partenariats solides et directs avec nous pour protéger et prendre soin de nos terres, améliorer les résultats en matière de biodiversité et, ensemble, faire en sorte que notre monde continue de soutenir toutes les formes de vie.

Je vous remercie.

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Visitez la page de l’évènement du Consortium APAC pour plus d’informations sur notre implication dans le Congrès des aires protégées d’Afrique de l’UICN, l’atelier PALC pré-congrès et l’Assemblée régionale africaine, qui se sont tous tenus consécutivement en juillet 2022 à Kigali, au Rwanda.

EN SAVOIR PLUS

Traduction : Ulrich Douo et Gaëlle Le Gauyer.