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Un dialogue pré-COP initie une collaboration Nord–Sud sur le leadership autochtone et communautaire en matière de conservation

Des leaders autochtones et communautaires d'Amérique du Nord et du Sud global se réunissent pour tisser des relations et renforcer un mouvement de solidarité mondiale autour des réponses apportées par les autochtones et les communautés aux crises mondiales de la biodiversité et du climat

« Dialogue sur le leadership autochtone et communautaire en matière de conservation ». Une peinture murale réalisée par l’artiste Sara Heppner a retranscrit l’essentiel des allocutions et des interventions des leaders autochtones et des communautés locales. Photo : Consortium APAC

First published on 12/07/2022, and last updated on 03/15/2023

Par Rights and Resources InitiativeConservation Through Reconciliation Partnership, et le Consortium APAC


MONTRÉAL (le 7 décembre 2022)—Un événement hybride, tenu en marge de la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité (COP15), a réuni des représentants et représentantes des communautés autochtones et locales d’Amérique du Nord et du Sud global pour partager leurs luttes, leurs initiatives et leurs solutions aux crises mondiales de la biodiversité et du climat.

Cet événement, le premier du genre en Amérique du Nord, a été organisé par l’Initiative des droits et ressources (RRI), le Partenariat pour la conservation par la réconciliation (CRP), basé au Canada, et le Consortium APAC, en partenariat avec la Chaire de recherche du Canada sur les droits humains, la santé et l’environnement de l’Université McGill. L’évènement a été parrainé par Montréal International et le Fonds Christensen.

La Dr Solange Bandiaky-Badji, coordinatrice de la coalition mondiale RRI pour les Peuples Autochtones, les peuples afro-descendants et les communautés locales, a déclaré dans son discours d’ouverture : « Ce dialogue est le résultat de nombreuses conversations qui ont eu lieu l’année dernière au sein de la coalition RRI et avec les organisations autochtones d’Amérique du Nord. Ce n’est que le début de la mise en place des bases d’une collaboration accrue et d’un alignement sur des priorités communes ». 

La Dr Bandiaky-Badji a regretté que de nombreux leaders autochtones du Sud global n’aient pas été en mesure de se joindre en personne à la réunion, en raison de problèmes de visa pour se rendre au Canada, ce qui a empêché de nombreux défenseurs et défenseures de première ligne des paysages de la biodiversité mondiale de participer aux travaux de la COP15.

« Il est donc de notre responsabilité de transmettre les demandes de ces leaders en faveur d’une participation effective des Peuples Autochtones et des communautés à tous les niveaux de décision »,  a-t-elle ajouté.

Un ensemble divers de leaders autochtones ont partagé les luttes traumatisantes de leurs communautés contre la dépossession, le déplacement et la criminalisation, ainsi que leurs priorités et réponses auto-déterminées. Parmi les peuples représentés figuraient le peuple Karen de Birmanie/Myanmar, les éleveurs pastoraux Masaïs et le peuple Sengwer du Kenya, la bande orientale des Indiens Cherokees des États-Unis, les Pankararus du Nord-Est du Brésil, les Moseténs de Bolivie, les Sherpas du Népal, la Première Nation Sayisi Dene du Canada, les communautés de paysans de la forêt du Mexique et les Pygmées du Congo, entre autres.

Holly Jonas, Coordinatrice Internationale du Consortium APAC, qui a co-organisé l’événement, a déclaré : « Les Peuples Autochtones et les communautés locales du monde entier sont confrontés à des défis communs qui compromettent la réalisation de leurs priorités auto-déterminées pour leurs territoires de vie. Ces priorités concernent autant leur propre santé et bien-être que la santé et la durabilité de notre planète commune ».

Jonas a ajouté que le partage des expériences et l’établissement de relations et d’alliances sont au cœur de tout ce qui a été discuté lors du dialogue et doivent être mis en avant à la COP15. 

« Ce qui nous relie, ce sont ces points d’unité, de convergence et de solidarité, ainsi que la recherche de moyens pour travailler ensemble et nous soutenir mutuellement, afin de relever les défis auxquels nous sommes tous confrontés. Nous espérons à présent que ces expériences et ces recommandations permettront de renforcer l’élan croissant en faveur de la reconnaissance des droits des Peuples Autochtones et des communautés locales ainsi que des terres, territoires et ressources collectives lors de la COP15 ».

Quels sont les enjeux ?

Qu’il s’agisse des forêts tropicales du bassin du Congo, des rives de l’Amazone ou des terres, forêts et eaux de l’île de la Tortue (Amérique du Nord), les Peuples Autochtones et les communautés locales gèrent et entretiennent leurs terres depuis des milliers d’années. Une étude a révélé que les territoires autochtones abritent plus de biodiversité que les aires protégées du Brésil, de l’Australie et du Canada réunies. Un rapport publié en 2021 par le Consortium APAC indique que l’une des plus grandes opportunités pour catalyser des changements transformateurs depuis le niveau local vers le niveau mondial est de soutenir les Peuples Autochtones et les communautés locales afin de garantir leurs droits humains, en particulier leurs droits à des systèmes de gouvernance, des cultures, des terres et territoires collectifs auto-déterminés.

Pourtant, bien qu’il soit prouvé que la gestion communautaire et autochtone amène de nombreux avantages sociaux et écologiques, le rôle que les Peuples Autochtones et les communautés locales jouent dans la conservation de la biodiversité et dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique n’a pas été reconnu ni protégé de manière appropriée par les gouvernements du Nord et du Sud globaux. Aujourd’hui, la réalisation pleine et effective des droits territoriaux collectifs et de l’auto-détermination reste un combat dans le monde entier.

Frank Brown, chef héréditaire de la Première Nation Heiltsuk de Bella Bella en Colombie-Britannique au Canada et professeur associé en gestion des ressources et de l’environnement à l’Université Simon Fraser, a appelé dans son discours d’ouverture à une reconnaissance claire des injustices historiques commises à l’encontre des communautés autochtones par les gouvernements nationaux, les institutions internationales et les groupes de conservation mondiaux.

« La richesse de cette nation, et d’autres comme elle, a été construite sur les ressources de notre peuple. Lorsque nous allons de l’avant, il est impératif que nous le fassions d’une manière durable, où les Peuples Autochtones prennent la place qui leur revient ».

M. Brown, conseiller principal du CRP et de l’Initiative de leadership autochtone (ILA), a ajouté que les Peuples Autochtones ne cherchent pas seulement à obtenir un siège à la table. « Nous voulons nous autodéterminer. Nous ne voulons pas qu’un filtre d’ONG, de gouvernements d’États-nations et de philanthropes nous dicte nos priorités… Nous pouvons créer nos propres priorités parce que c’est nous qui devons vivre avec ces décisions ».

Christiane Pankararu, leader Pankararu de l’Articulation des Peuples Autochtones du Brésil (APIB), a souligné l’importance d’une résistance plus forte des communautés autochtones aux principes de colonisation et de conservation de forteresse qui continuent d’opprimer les connaissances et la gestion autochtones dans les pays du monde entier.

« Les personnes qui prennent les décisions en notre nom sont ancrées dans des systèmes colonialistes de contrôle de nos connaissances, de nos pratiques et de notre science. Ils les voient comme quelque chose de mineur qui devrait être prouvé à l’intérieur d’un laboratoire. Mais notre expérience est vécue, acquise à travers nos connaissances et nos pratiques ».

Stanley Kimaren Ole Riamit, un leader Masaï de l’Indigenous Livelihoods Enhancement Partners (Partenaires de l’amélioration des modes de vie autochtones, ILEPA) du Kenya, a partagé le fait qu’une grande majorité des aires protégées du Kenya sont actuellement régies par la conservation de forteresse, avec seulement 11 % des aires sur le modèle de la conservation communautaire. Il a ajouté que pour sa communauté pastorale, la mobilité est essentielle pour l’utilisation de ses paysages, bien qu’elle soit considérée comme irrationnelle par les gouvernements qui prennent des décisions politiques guidées par les lois du marché.

« Le paysage d’où je viens s’étend sur 45 000 kilomètres et constitue l’épine dorsale des économies et une ligne de vie pour les communautés ainsi que pour la conservation »,  a déclaré Ole Riamit.« Les Peuples Autochtones vivent avec un état d’esprit d’abondance par opposition à un état d’esprit de pénurie propagé par les principes capitalistes. Détruire la forêt, c’est nous détruire nous-même ».

Les participants ont également souligné l’urgence d’inclure les femmes des communautés locales et rurales dans la conservation et le financement du climat. Cécile Ndjebet, présidente du Réseau des femmes africaines pour la gestion communautaire des forêts (REFACOF),a déclaré dans son discours : « Les relations que nous allons nouer ici aujourd’hui, faites qu’elles soient les graines de l’action et nous donnent la force dont nous avons besoin pour montrer que nous sommes équipés pour défendre nos terres, nos communautés, nos femmes. Ce n’est que lorsque nous sommes ensemble que nous pouvons avoir suffisamment de force pour aller de l’avant ».  

Ndjebet a partagé un appel à l’action mondial lancé par l’Alliance des femmes du Sud pour la tenure et le climat, qui a été créée récemment et dont elle fait partie. « Nous n’avons pas besoin de prouver le rôle des femmes autochtones et des communautés locales dans la restauration et la protection de la nature ; les preuves sont déjà là. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est de faire en sorte que ces femmes aient un accès direct aux fonds dédiés à la conservation ». 

Les participants ont identifié plusieurs défis communs qui constituent des opportunités pour une collaboration entre le Nord et le Sud globaux. Ces défis sont les suivants :

  • La résistance aux modèles et initiatives coloniaux de conservation et de « développement » extractifs sur les terres et territoires des Peuples Autochtones et des communautés locales ;
  • Le manque d’inclusion, voire la mise sous silence des voix autochtones dans les espaces politiques mondiaux ;
  • Les déséquilibres de pouvoir par rapport aux gouvernements, aux intérêts du secteur privé et aux ONG ;
  • Le déclin de l’engagement des jeunes dans les modes de vie et les pratiques culturelles de leurs communautés, et la perte du partage des connaissances entre les générations ; et
  • La représentation et le financement insuffisants des femmes autochtones et des communautés locales.

Ils ont discuté des possibilités naissantes de leadership autochtone et communautaire dans la lutte contre les crises interdépendantes de la biodiversité et du climat, ainsi que des domaines dans lesquels les acteurs clés, tels que les gouvernements, les donateurs et les ONG environnementales, pourraient investir pour parvenir à un cadre mondial pour la biodiversité post-2020 plus juste et plus équitable. Ce cadre, qui devrait être le principal résultat de la COP15, définira les objectifs mondiaux en matière de biodiversité qui guideront les investissements et les actions visant à protéger la nature et à l’utiliser de manière plus durable et plus équitable au cours des 10 prochaines années.

En conclusion du dialogue, Noella Gray, co-responsable du thème de recherche sur les politiques internationales au CRP, a déclaré :« Les conversations et histoires très riches partagées aujourd’hui par les participants et participantes, ainsi que les initiatives qu’ils ont prises pour récupérer leurs terres coutumières, leurs cultures et la gestion des territoires dont ils sont les gardiens et gardiennes, ne sont que la première étape pour entamer ce dialogue qui est si nécessaire. En combinant nos voix et en travaillant ensemble, nous pouvons constituer une force d’action beaucoup plus puissante ».

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Initiative des droits et ressources (RRI)

L’Initiative des droits et ressources est une coalition mondiale de 21 partenaires et de plus de 150 organisations de défense des droits et de leurs alliés qui se consacre à la promotion des droits aux terres forestières et aux ressources des Peuples Autochtones, des peuples afro-descendants, des communautés locales et des femmes au sein de ces communautés. RRI s’appuie sur la puissance de sa coalition mondiale pour amplifier la voix des populations locales et engager de manière proactive les gouvernements, les institutions multilatérales et les acteurs du secteur privé à adopter des réformes institutionnelles et systémiques pour soutenir la réalisation de leurs droits et leur développement autodéterminé. RRI est coordonnée par le Groupe des droits et des ressources, une organisation à but non lucratif basée à Washington, DC.

Partenariat pour la conservation par la réconciliation (CRP)
Le Partenariat pour la conservation par la réconciliation est un réseau dirigé par des autochtones qui rassemble un large éventail de partenaires pour faire progresser la conservation menée par les Peuples Autochtones et faire avancer le mouvement pour les aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC) au Canada. Il vise à étudier, informer et transformer les stratégies et les pratiques de conservation en mettant l’accent sur le leadership, les droits, les responsabilités et les connaissances des autochtones. Le CRP est un collectif de dirigeants autochtones, d’agences et d’organisations de conservation, d’universitaires, de sociétés civiles et de communautés qui agissent sur la base des recommandations formulées dans le rapport du Cercle d’experts autochtones intitulé We Rise Together (Nous nous élevons ensemble).

Consortium APAC

Le Consortium APAC est né du mouvement pour l’équité dans la conservation au tournant du millénaire et sert désormais le mouvement mondial pour les territoires de vie (aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire). Le Consortium a été créé en 2010 en tant qu’association basée sur l’adhésion, composée d’organisations Membres (principalement des Peuples Autochtones et des communautés locales ainsi que leurs organisations, réseaux, fédérations et associations de soutien) et de Membres d’Honneur qui sont des individus. Le Consortium compte actuellement plus de 200 Membres et plus de 450 Membres d’Honneur dans près de 90 pays.

Traduction : équipe de RRI et Mathilde Craker.


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