La Casamance et le rôle des Aires et Territoires du Patrimoine Autochtone et Communautaire (APAC)
First published on 05/29/2025, and last updated on 06/02/2025
Par Salatou Sambou et Bassirou Diatta
Les ressources halieutiques du Sénégal, notamment la biodiversité aquatique des bassins fluviaux et des zones côtières et marines, sont confrontées à de nombreux défis. L’expérience accumulée par les communautés de pêcheurs montre que la création et la promotion des APAC (Aires et Territoires du Patrimoine Autochtone et Communautaire), dont Kawawana est un exemple emblématique, représentent une stratégie innovante et inclusive pour une gestion durable de ces ressources.
Le Sénégal, avec ses 718 km de côtes, est l’un des principaux producteurs halieutiques d’Afrique de l’Ouest. La pêche y constitue une ressource vitale pour l’économie nationale et le bien-être des communautés côtières, contribuant à plus de 15 % des exportations du pays et générant environ 600 000 emplois directs et indirects. Toutefois, cette richesse est aujourd’hui menacée, notamment en Casamance, région à fort potentiel écologique.
Les pressions sur les ressources halieutiques sont multiples : surpêche, surcapacité de pêche, pratiques non durables(filets dérivants, monofilaments), pêche illicite, ainsi que les effets combinés du changement climatique et de la pollution. Ces facteurs provoquent une chute alarmante des populations de poissons, particulièrement les espèces pélagiques (sardinelles, maquereaux) et démersales (mérous, capitaines). Par exemple, la production de sardinelles a diminué de près de 40 % en dix ans. On estime que 75 % des stocks sont aujourd’hui exploités au-delà de leur capacité de renouvellement naturel.
L’augmentation du nombre de pirogues motorisées et de navires industriels accroît la pression sur les écosystèmes marins. Parmi les pratiques les plus destructrices figure le chalutage de fond, qui endommage les habitats et entraîne des captures d’espèces non ciblées. Le réchauffement des eaux, les rejets industriels et urbains détériorent également les écosystèmes côtiers, perturbant les cycles de reproduction et la répartition des espèces.
Bassin du fleuve Casamance : un écosystème en péril mais récupérable
Avec son estuaire et ses mangroves, la Casamance constitue une zone de nurserie essentielle pour de nombreuses espèces de poissons et de crustacés. La pêche artisanale y joue un rôle crucial, représentant la principale source de revenus pour les communautés locales (comme à Kafountine et Cap Skirring).
Cependant, les ressources y sont en déclin. On observe une baisse marquée des captures de crevettes, de poissons démersaux et pélagiques, ainsi qu’une raréfaction inquiétante de certaines espèces autrefois abondantes, comme le mérou blanc. La pression conjuguée de la pêche artisanale intensive et des navires industriels contribue à cette dégradation. La capture massive de juvéniles, la pêche INN (illicite, non déclarée et non réglementée) — souvent pratiquée par des navires étrangers — aggravent la situation.

La crise climatique et la destruction des habitats accentuent encore le phénomène. L’exploitation illégale du bois de mangrove pour le fumage réduit les zones de reproduction. La pollution industrielle et l’érosion côtière fragilisent les écosystèmes, tandis que la raréfaction des ressources alimente les tensions entre pêcheurs artisanaux et industriels.
Les APAC : une voie durable pour revitaliser les communautés et les pêcheries
Les APAC sont des espaces gérés par les communautés locales selon des pratiques traditionnelles et des normes culturelles. Leur objectif est de conserver la biodiversité tout en assurant le bien-être socio-économique des populations. Elles constituent une alternative novatrice en matière de gestion des ressources naturelles, fondée sur les savoirs locaux et la gouvernance communautaire.
Les avantages des APAC
- Gestion participative et inclusive : implication des communautés dans la prise de décision, favorisant l’adhésion aux mesures de conservation.
- Préservation des écosystèmes critiques : protection des mangroves et des zones de nurserie.
- Réduction des conflits d’usage : régulation des accès aux zones de pêche pour limiter les tensions entre pêche artisanale et pêche industrielle.
Expériences réussies et conditions de réussite
Des exemples concrets existent déjà, comme l’APAC de Kawawana en Casamance. Cette région, dotée de fortes traditions culturelles et d’un lien profond aux territoires (notamment les bois sacrés), offre un contexte favorable au développement de telles initiatives.
Conditions de réussite
- Reconnaissance juridique : intégrer les APAC dans le cadre législatif national.
- Renforcement des capacités communautaires : former les populations aux pratiques de gestion durable et à la surveillance participative.
- Partenariats et financement : coopérer avec l’État, les ONG et les bailleurs internationaux pour obtenir un appui technique et financier.
La mise en place d’APAC en Casamance pourrait non seulement renforcer la conservation des ressources halieutiques, mais aussi promouvoir une gestion équitable, durable et inclusive. Il est essentiel de valoriser les savoirs locaux et de favoriser la collaboration entre l’État, les communautés et les partenaires internationaux.
Enfin, les APAC peuvent devenir un modèle reproductible dans d’autres régions du Sénégal confrontées aux mêmes défis. En combinant régulation, pêche responsable et gouvernance communautaire, le pays peut préserver ses ressources halieutiques tout en assurant la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des générations à venir.
Salatou Sambou : Basé en Casamance, au Sénégal, Salatou est un pêcheur originaire de Casamance. Il fût le premier président de l’Association des Pêcheurs de la Communauté Rurale de Mangagoulack (APCRM), l’une des premières organisations Membres du Consortium.
Bassirou Diatta : Président de l’APCRM, Mangagoulack, Casamance, Sénégal. Bassirou DIATTA est un acteur communautaire engagé dans la gestion durable des ressources naturelles en Casamance.