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‘30 X 30’ est une distraction, maintenez l’accent sur la gestion holistique des océans par les Peuples Autochtones et les communautés locales

Opinion : La campagne “30 X 30” pour les aires marines protégées marginalisera précisément les personnes qui, loin de contribuer au problème, ont longtemps été une grande partie de la solution

A local woman in the mangroves in the Gambia. Photo: Grazia Borrini-Feyerabend

First published on 12/18/2020, and last updated on 07/02/2021

Par Hugh Govan* et Mohammad Arju**
*Conseiller technique du Locally Managed Marine Area (LMMA) Network (Membre); et Membre d’Honneur, Consortium APAC
**Coordinateur de la Communication, Consortium APAC

Traduit de l’anglais par Marie-Line Sarrazin

Le développement non-durable et les énormes industries extractives ont mené à l’état actuel de crise écologique. Nous sommes confrontés à des menaces massives et croissantes pour la diversité biologique et culturelle dans le monde entier. Nous sommes tous et toutes concerné.e.s, et beaucoup d’entre nous, beaucoup de communautés et de nations à travers le monde essaient de maintenir la diversité de la vie et de conserver nos territoires.

En réponse à la crise de la biodiversité, certains groupes environnementaux multinationaux basés dans le Nord et un nombre croissant de gouvernements se rallient à une campagne avec un slogan accrocheur : 30 X 30. Cette campagne appelle à la « protection » de trente pour cent des terres et des océans du monde d’ici 2030.

En utilisant sans nuances le mot « protection », la campagne promeut la création d’aires marines protégées dans trente pour cent des aires océaniques, ce qui pourrait restreindre sévèrement des activités comme la pêche de subsistance et la pêche à petite échelle. Cette campagne promeut l’inclusion de cet objectif dans le cadre mondial pour la biodiversité pour l’après-2020 de la Convention sur la diversité biologique, qui fixera la législation et la politique en matière de biodiversité et de conservation de la nature pour la prochaine décennie au moins.

Nous voyons dans cette campagne une passion pour le fait de « faire quelque chose ». Nous y voyons aussi la simplicité de trouver un slogan accrocheur que les gens peuvent utiliser comme un cri de ralliement pour soutenir et restaurer la biodiversité. À première vue, cette campagne peut donc sembler être la bonne, mais elle ne l’est pas.

La campagne 30 X 30 est une menace pour les droits des Peuples Autochtones et des communautés locales

L’objectif proposé pour les aires « protégées » n’est certainement pas à la hauteur des crises auxquelles nous sommes confrontés. Les nombreuses facettes des crises interdépendantes en termes de biodiversité, du climat et des inégalités sont négligées dans cette campagne. Et les complexités de ces crises dans de nombreuses régions du monde, y compris dans les grands États océaniques, ne sont pas prises en compte par cette campagne. Elle n’examine pas si l’action proposée s’attaque aux principaux facteurs de la crise planétaire, ni comment. La déclaration de vastes aires comme « aires protégées » ne permettra pas de remédier à la mauvaise régulation réalisée par les gouvernements en ce qui concerne les utilisateurs les plus puissants et les plus destructeurs de l’environnement. Trop souvent, les pêcheries les plus destructrices sont autorisées à se poursuivre sans relâche et sont même subventionnées, tandis que la pêche de subsistance et la pêche communautaire sont criminalisées.

Il y a tout lieu de penser que cette campagne pourrait toucher de manière disproportionnée les moins puissants. Comme son objectif ne tient pas suffisamment compte des questions de souveraineté des Nations Autochtones, d’intégrité territoriale des Peuples Autochtones et des droits des Peuples Autochtones et des communautés locales, elle ne permettra même pas à celles et ceux qui sont les plus touché.e.s de participer de manière significative, et encore moins de décider de la conservation de leurs territoires. Cette campagne risque d’accroître encore l’inégalité qui caractérise déjà la destruction de l’environnement dont si peu de gens ont bénéficié au détriment de la grande majorité.

Les Peuples Autochtones et les communautés locales contribuent énormément à la biodiversité en conservant leurs terres collectives et leurs territoires de vie. Cela a déjà été reconnu par plusieurs décisions de la CDB et par de nombreuses organisations à travers leurs politiques en matière de conservation. L’objectif proposé de 30 X 30 pourrait perturber considérablement les systèmes de gouvernance, de gestion et de conservation des Peuples Autochtones et des communautés locales sur tous les territoires de vie aquatiques, tant dans les zones côtières qu’en mer.

Costarica Pacific Dorado

Des enfants jouent près d’un pêcheur et d’un seau de dorade (coryphène) sur la côte pacifique de Tarcoles, au Costa Rica. En décembre, l’été s’accompagne d’une augmentation des prises de dorade, ce qui génère un peu plus de revenus pour les communautés de pêcheurs artisanaux de la côte pacifique du Costa Rica. Lorsque les pêcheurs arrivent sur le rivage avec leurs prises, leurs familles sont toujours là pour les accueillir. Photo: Vivienne Solís Rivera/ CoopeSoliDar R.L.

Ces communautés ne veulent pas que leurs territoires soient etiquetés comme « protégés » par la campagne 30 X 30. Elles ne veulent pas que leurs efforts soient utilisés pour compenser les manquements des gouvernements et la responsabilité des entreprises en matière de protection de l’environnement.

Dans de nombreux pays, il n’existe pas de dispositions adéquates pour la participation du public à la gouvernance environnementale et au processus de création des aires « protégées ». Pour les Peuples Autochtones, même le processus d’obtention d’un consentement libre, informé et préalable est devenu un processus difficile et souvent manipulé. Depuis plusieurs années, nombreux sont celles et ceux qui travaillent d’arrache-pied pour tenter de faire en sorte que les Peuples Autochtones et les communautés locales participent réellement aux décisions concernant leurs terres et territoires.

Ce qui est très inquiétant, c’est que, par le passé, ce type d’objectif en matière d’aires « protégées » a eu comme conséquence de priver les personnes de leur droit à opiner sur ce qui se passe sur leur territoire ou même dans leur pays. Les pays les plus désireux d’adopter cette nouvelle campagne 30 X 30 ne font actuellement pas exception et risquent fort de marginaliser les Peuples Autochtones et les populations locales.

Dans l’océan, les aires « protégées » revêtent une toute autre signification et cette campagne touche de manière disproportionnée les grands États insulaires océaniques du Pacifique et d’ailleurs. Les pays sont encouragés à déclarer de grandes aires marines protégées – au moins 30 % de leur territoire – et pourtant, la majeure partie de cette surface est constituée par l’océan, relativement « vide ».

Les moyens de subsistance des populations dépendent en grande partie des récifs coralliens côtiers, des mangroves et d’autres habitats ainsi que de la faune qui y est associée. Si un engagement politique et financier est pris, ne serait-il pas plus logique de travailler avec les communautés côtières pour réduire les menaces qui pèsent sur TOUS les récifs, mangroves et ressources côtières?

Dhimurru Aboriginal

Les Peuples Autochtones et les communautés locales contribuent énormément à la biodiversité en conservant leurs terres collectives et leurs territoires de vie. Sur cette photo, des gardes autochtones de l’aire aborigène de Dhimurru, sur la mer d’Arafura, prennent soin d’une tortue de mer. Photo: Grazia Borrini-Feyerabend

D’autre part, les menaces en haute mer ne respectent pas les limites des aires « protégées », tout comme la plupart des espèces ayant une valeur commerciale. Les thons, par exemple, migrent et se reproduisent dans de nombreuses juridictions du Pacifique, ce qui a conduit à des expériences de gouvernance internationale réussies n’impliquant pas d’« aires protégées ». Et c’est peut-être en partie la raison pour laquelle ces expériences n’ont pas été suffisamment prises en compte par les lobbyistes de la conservation.

Il est décevant que les grandes organisations de conservation continuent à promouvoir la campagne 30 X 30 sans prendre en compte ces considérations ou nuances et sans études ou consultations appropriées auprès des communautés et des Peuples Autochtones, qui seront probablement les plus touchés par les décisions qui en découleront. Il est certain que les slogans simplistes et ce qui semble à priori la panacée permet de créer des campagnes convaincantes auprès du public.

Mais les communautés et les Peuples Autochtones doivent pouvoir déterminer, pour eux-mêmes, ce que signifie la durabilité, travailler ensemble sur leurs priorités et approches autodéterminées et, ce faisant, devenir moins dépendants des bienfaiteurs extérieurs qui imposent des mesures inappropriées.

Il existe de nombreux exemples positifs de communautés et Peuples Autochtones qui dirigent ou contribuent à des actions pour la conservation, l’utilisation durable et la restauration des systèmes océaniques et de pêche. Les organisations de conservation et les États-nations peuvent jouer un rôle positif en soutenant ces initiatives, mais ils doivent commencer par écouter.

Le manque de sensibilité et de discussions sur ces questions ne devrait pas compromettre la possibilité de mobiliser les solidarités et unir les forces existantes pour faire face aux grands problèmes auxquels l’océan est confronté. Dans le cas des Peuples Autochtones et des communautés locales, ainsi que des pays du Sud et des petites îles (aussi appelés grands États océaniques), nous devons veiller à ne pas marginaliser les personnes qui, loin de contribuer au problème, ont longtemps été une grande partie de la solution. Nous demandons que ces questions fassent l’objet de plus amples discussions.

 

Image de couverture : Une femme d’une communauté locale dans les mangroves en Gambie. Photo: Grazia Borrini-Feyerabend

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