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Troisième assemblée nationale des APAC – territoires de vie du Burkina Faso

En novembre 2022, l'Association nationale des APAC du Burkina Faso et NATUDEV ont organisé la 3ème assemblée nationale des APAC du Burkina Faso. Retour sur une instance concrète de partage et d’engagement entre communautés locales et partenaires externes

Les participants lors de la 3ème assemblée nationale des APAC du Burkina Faso. Photo : Natudev

First published on 05/18/2023, and last updated on 05/22/2023

Rédigé par Patrice Akiam (Membre d’Honneur du Consortium APAC), Evariste Tenkodogo et Alexis Kaboré (respectivement, Assistant technique et Président de NATUDEV, Membre du Consortium APAC)

Edité par Gaëlle Le Gauyer et Mathilde Craker


Les 8 et 9 novembre 2022 s’est tenue la troisième assemblée nationale des Aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC – territoires de vie) du Burkina Faso. Parmi les participants, 44 personnes représentant des communautés de 10 provinces administratives du pays. L’assemblée a aussi compté la présence des deux Membres d’Honneur burkinabè du Consortium APAC.

Des organisations partenaires des APAC, notamment le Programme de microfinancements du Fond pour l’environnement mondial (PMF/FEM), l’Union Economique et Monétaire Ouest-africaine (UEMOA) et des représentants du Ministère de l’environnement, ont également participé activement à la rencontre. L’assemblée a été organisée par l’Association nationale des APAC du Burkina Faso (ASAPAC-BF) avec l’appui de l’Association Nature et Développement (NATUDEV), point focal du mouvement APAC au Burkina Faso et chargée de la coordination du Consortium APAC pour la région Sahel.

Ces deux journées ont été consacrées aux partages d’expériences entre communautés gardiennes d’APAC, à l’identification des difficultés rencontrées, à la proposition de solutions et aux perspectives d’avenir. Un moment a aussi été dédié à des communications d’acteurs travaillant à l’échelle locale et à l’échelle internationale du Consortium APAC.

Partage d’expériences entre communautés gardiennes d’APAC

Vingt et une communautés locales ont partagé leurs expériences sur la gouvernance et la gestion de leurs APAC. Il s’agit de communautés villageoises venues des communes de Sabou, Boulsa, Kombissiri, Pô, Dano, Pella, Soaw, Fada N’Gourma, Tanghin-Dassouri, Dafra, Ipélsé, Barma.

Parmi les communautés présentes et leurs structures d’appui, notons que neuf d’entre elles ont bénéficié d’un financement du PMF du FEM dans le cadre de la GSI (Initiative de soutien mondial aux APAC) pour la réalisation d’actions de conservation des ressources naturelles communautaires et pour la promotion du mouvement des APAC. Entre juin 2021 et novembre 2022, ce financement a permis :

  • le déroulement de 2 grandes actions de réseautage à l’échelle nationale et communale ;
  • l’émergence de 10 nouvelles associations gardiennes d’APAC ;
  • l’adoption de 5 chartes locales de conservation de sites naturels communautaires ;
  • la cartographie de 11 sites – sur 2 de ces sites, un inventaire des potentialités forestières a été réalisé ;
  • la sensibilisation d’environ 2000 personnes sur le mouvement des APAC ; et
  • l’autonomisation progressive des communautés grâce à la valorisation des ressources naturelles par la production, la transformation et la commercialisation de produits forestiers (beurre de karité, miel, etc.).

Toutes ces actions ont contribué à renforcer la gouvernance et la sécurité de cinquante APAC, essentiellement des sites sacrés et des forêts villageoises, sur une superficie totale d’environ six cent hectares.

Monsieur Noël Compaoré, Coordinateur national du PMF/FEM, est aussi intervenu pour apporter des précisions sur les actions de sa structure. Il faut souligner ici que le PMF du FEM a été le premier et principal partenaire financier du mouvement des APAC au Burkina Faso. Depuis 2015, c’est-à-dire avant même l’avènement du fonds GSI au Burkina Faso en 2021, le PMF/FEM a toujours soutenu et encouragé les actions de gouvernance et de conservation communautaires des APAC.

Douze autres communautés, qui ne sont pas directement bénéficiaires de la GSI, ont également partagé leurs expériences lors de cette assemblée nationale. Ces communautés peuvent être distinguées en trois grandes catégories selon le type de territoire qu’elles protègent : trois communautés sont gardiennes de mares sacrées, sept communautés sont gardiennes de bosquets sacrés et deux communautés sont gardiennes de Zones villageoises d’intérêt cynégétique (Zovic)[1].

Les mares sacrées des villages de Bazoulé, Sabou et Dafra

La mare aux crocodiles sacrés du village de Bazoulé est entièrement gouvernée et gérée par la communauté du village, par le biais de ses autorités traditionnelles et l’association pour le développement touristique de Bazoulé (ATDB), elle-même composée d’habitants du village. Les menaces qui pèsent sur l’écosystème de la mare sont surtout son tarissement en saison sèche et la réduction des revenus touristiques due à la crise sécuritaire nationale.

À Sabou, la mairie est fortement impliquée dans la gouvernance et la gestion touristique de la mare aux crocodiles sacrés, peuplée d’une centaine d’individus. Cette gestion inclut, entre autres, la tenue du restaurant et de l’hébergement ainsi que la visite de la mare et les soins aux crocodiles. Par conséquent, les droits de la communauté sont essentiellement réduits à la pratique de ses rites culturels. Pour garantir une plus forte représentation communautaire dans les prises de décisions et les activités de gestion, une association de base est en train d’être créée.

Enfin, dans la commune de Bobo-Dioulasso, la mare aux silures sacrés de Dafra est un lieu de culte où les croyants viennent exprimer leurs vœux et faire des offrandes pour obtenir fécondité, mariage, santé, richesses matérielles, paix… Malheureusement, sous les effets combinés du tourisme, du modernisme et du capitalisme, on voit se multiplier les comportements qui méprisent les coutumes, et cela préoccupe les gardiennes et gardiens de cette APAC de renommée nationale.

Présentation de l’expérience de la mare sacrée de Bazoulé et de la Zovic de Saro. Photos : Natudev

Les bosquets sacrés des villages de Kalwaka et de Barama

L’association Rayimikoudoumdé (« N’oublions pas nos traditions », en mooré) est l’organe qui coordonne les actions de conservation des bosquets et points d’eau sacrés du village de Kalwaka. Ces bosquets et points d’eau sont une vingtaine et couvrent environ cent hectares. Rayimikoudoumdé est pionnière du mouvement APAC dans la commune de Soaw. Son exemplarité a favorisé l’émergence d’associations gardiennes d’APAC dans 4 autres villages de la commune de Soaw. Ces associations se sont fédérées pour donner naissance à l’association communale Rawidi-Koudoumdé (« Ne méprisons pas nos traditions », en mooré) dont la mission est la défense des APAC à l’échelle communale.

Le village de Barama possède une forêt villageoise de 97 hectares qui abrite également des sites sacrés. Des travaux de délimitation et de cartographie y ont déjà été réalisés. Chaque année, les membres de la communauté s’organisent pour l’aménagement des pare-feux qui visent à minimiser l’impact des feux de brousse sur le reste de la forêt. Malgré tout, la proximité de la forêt avec la route nationale n°2 et avec Ouagadougou, la capitale du pays, accroît les risques de détérioration. Par exemple, certaines personnes déposent leurs ordures ménagères dans la forêt. Mais, ce qui inquiète le plus la la communauté, c’est la pression des entreprises privées du secteur de l’immobilier, qui ont déjà accaparé de grands espaces dans les villages voisins de Barama.

Les Zovic de Saro et de Sadpenga

Les communautés de Sadpenga (région de l’Est) et de Saro (région du Centre-Sud) ont en commun le même type d’APAC : ce sont des Zovic. Les Zovic sont des forêts communautaires dédiées à la conservation de la faune sauvage et de son habitat. Dans le contexte actuel de crise sécuritaire aggravée au Burkina Faso, il a été remarqué que les Zovic montrent une plus grande résilience que les aires protégées classiques, car beaucoup sont occupées par les groupes armés non étatiques.

Mise en contexte des APAC – territoires de vie 

En plus des partages d’expériences des communautés locales, cinq interventions ont contribué à une meilleure connaissance des contextes international et national dans lesquels sont gouvernées et gérées les APAC du Burkina Faso.

Tout d’abord, pour que tout le monde et notamment les personnes découvrant les APAC puissent suivre les échanges, le Dr Alexis Kaboré a fait un rappel sur la notion d’APAC – territoire de vie et ses réalités au Burkina Faso. Le Dr Alexis Kaboré est président de NATUDEV, l’association qui assure la coordination régionale du Consortium APAC pour le Sahel et son point focal au Burkina Faso.

Christian Chatelain, Co- coordinateur du Consortium APAC pour l’Afrique[2], est aussi revenu sur le sens de la notion d’APAC – territoires de vie pendant son intervention virtuelle. Il a souligné la contribution des APAC à l’atteinte de l’objectif «30×30» du cadre mondial pour la biodiversité pour l’après-2020 et rappelé les procédures à suivre pour l’inscription d’une APAC au registre mondial des APAC.

Sécurisation des APAC et cadre légal au Burkina Faso

Deux invités ont également apporté des éléments sur le cadre législatif burkinabé. Clark Lungren, fondateur et directeur du Centre pour le Développement de la Production Faunique de Ouagadougou, a présenté l’historique des ZOVIC, un des principaux types d’APAC au Burkina Faso, et expliqué les raisons de sa foi en la gouvernance communautaire des espaces naturels. Il nous a notamment confié que c’est cette conviction qui l’a motivé et qui l’a guidé dans son soutien à la notion de Zovic depuis la naissance du concept à la fin des années 1980. 

Pour sa part, le Directeur général des affaires juridiques et institutionnelles du Ministère de l’environnement, Gontran Somé, a évoqué le régime juridique applicable aux droits des communautés dans le domaine des espaces naturels.Il a insisté sur l’existence d’un dispositif juridique conséquent et applicable aux droits des communautés sur l’ensemble des forêts du pays : droits des communautés dans les forêts de l’état, dans les forêts des collectivités territoriales, dans les forêts communautaires et dans les forêts privées. Malheureusement, ces multiples leviers juridiques ne sont pas assez connus, surtout des communautés locales.

Il a aussi reconnu l’inexistence d’une loi spécifiquement dédiée aux APAC – territoires de vie, tout en insistant sur le fait que le Code forestier du Burkina dispose d’instruments permettant aux communautés locales de devenir propriétaires à part entière de leurs territoires de vie. Par exemple, le Code forestier indique que, pour devenir propriétaire d’un espace naturel privé, qu’il soit individuel ou collectif, il suffit de se doter d’une Attestation de Possession Foncière Rurale (APFR) ou d’un titre foncier. Cette attestation ou ce titre permettent à l’individu ou à la communauté qui l’obtient de jouir pleinement de ses droits sur le domaine concerné. Ainsi, rien n’interdit à une communauté ou un village d’être propriétaire d’une forêt privée. Toutefois, les propriétaires doivent respecter le Code forestier et les restrictions concernant ces espaces dits privés.

Ces communications ont suscité des échanges très animés. Les débats les plus fréquents concernaient le non-respect des règles coutumières et législatives au sein des communautés elles-mêmes, ainsi que par certaines autorités. Il a aussi été souligné à plusieurs reprises que l’approche APAC constitue une réelle opportunité pour ces communautés et leurs territoires. Pour conclure, c’est la mobilisation transversale et commune de l’ensemble des catégories d’acteurs, aux côtés des communautés villageoises déjà mobilisées, qui a été recommandée.

Principales actions prévues en 2023

Cette troisième assemblée nationale a permis de déterminer les actions à mettre en place au cours de l’année à venir. Les priorités suivantes sont ressorties des échanges :

  • Produire la transcription audio du Processus de renforcement autonome (PRA) en langue locale (le mooré) ;
  • Réaliser une vidéo de capitalisation des acquis des projets APAC financés par la GSI ;
  • Continuer à communiquer et à sensibiliser sur le mouvement des APAC ;
  • Organiser un atelier national de formation et d’information sur les APAC à l’attention des services techniques en charge de l’environnement ;
  • Élaborer un index de sécurité des APAC du Burkina Faso ;
  • Restaurer le couvert végétal des bosquets sacrés en reboisant avec des espèces locales ;
  • Inscrire au moins une APAC du Burkina Faso au le registre mondial des APAC;
  • Tenir une Assemblée générale pour accueillir les nouveaux membres de l’ASAPAC-BF ;
  • Poursuivre le processus de décentralisation de l’ASAPAC-BF aux niveaux communal, provincial et régional.

[1] Une Zovic est une Zone villageoise d’intérêt cynégétique, c’est-à-dire « une partie du terroir d’une communauté de base, affectée par elle à l’exploitation des ressources cynégétiques » (article 103 de la loi N°003-2011/AN du 5 avril 2011 portant code forestier au Burkina Faso). Les ressources cynégétiques sont les ressources obtenues par la chasse. D’après le même article 103 : « la création d’une Zovic est proposée par un procès-verbal de réunion de l’organe villageois compétent et confirmée par arrêté de l’autorité locale compétente ». Voir cet article de NATUDEV pour plus d’informations.

[2] Christian Chatelain occupe maintenant le rôle de Conseiller technique au Consortium APAC.


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