Categories Article, Convention sur la diversité biologique, Monde, Mondial

Le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal marque une avancée pour la justice sociale et environnementale

Après des années de négociations et de nombreux reports dus à la COVID, les Peuples Autochtones et les communautés locales ont plaidé avec succès pour l’adoption de mesures clefs en matière de reconnaissance, imposant ainsi un nouveau standard de référence à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. L'équipe de politique internationale du Consortium APAC propose une première analyse des principaux résultats de la COP15

Kampung Sega territory of life in Indonesia. Photo: Cindy Julianty

First published on 02/09/2023, and last updated on 02/15/2023

Article rédigé par Ameyali Ramos (Coordinatrice de politique internationale), Carolina Rodríguez (Point focal régional sur la Politique Internationale pour l’Amérique latine) et Aquilas Koko Ngomo (Point focal régional sur la Politique Internationale pour l’Afrique)


Les informations à retenir

  • Le nouveau cadre prévoit que l’on vive en harmonie avec la nature d’ici 2050, avec des cibles à atteindre pour 2030, et vise à mettre un terme à la perte de biodiversité.
  • Le cadre reconnaît les droits des Peuples Autochtones et des communautés locales, notamment les droits collectifs et les droits sur leurs terres et territoires, ainsi que leurs rôles et leurs contributions à la conservation de la nature.
  • Le cadre reconnaît l’intégrité et la nature des territoires autochtones et traditionnels, qui sont à distinguer de la conservation par zone, et vont au-delà des catégories générales d’aires protégées et des autres mesures de conservation efficaces par zone (AMCE).
  • Le cadre répond aux besoins des défenseurs de l’environnement en matière d’accès à la justice et de protection .

Le 19 décembre 2022, les États Parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique ont adopté le nouveau cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. Bien que le processus ait beaucoup laissé à désirer et que le résultat soit loin d’être parfait (article en anglais), le cadre contient de multiples références aux droits humains (y compris le droit à un environnement propre, sain et durable), à l’approche fondée sur les droits humains, aux droits des Peuples Autochtones et des communautés locales, à une participation pleine, effective et équitable à la prise de décision, ainsi qu’à la reconnaissance des systèmes coutumiers dans l’utilisation durable.

Soulignons ici que la cible 3 (cible « emblématique » du cadre, communément dénommée 30×30), qui appelle à ce qu’au moins 30% des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones marines et côtières soient effectivement conservées et gérées, comprend une référence directe à la reconnaissance et au respect des droits des Peuples Autochtones et des communautés locales. La reconnaissance explicite des territoires autochtones et traditionnels en tant que tels, en tant que troisième voie distincte des aires protégées et des AMCE, constitue une avancée significative pour que les Peuples Autochtones et les communautés locales puissent décider de la meilleure forme de reconnaissance dans leur propre contexte. Cela se révèle crucial au regard des injustices historiques, continues et potentielles qui ont été causées au nom de la conservation, notamment par le biais des systèmes d’aires protégées et d’AMCE.

Il ne peut y avoir de conservation sans gouvernance équitable. Les différentes structures organisationnelles territoriales, les communautés locales et autochtones et leurs instances doivent être impliquées dans les prises de décisions, ainsi que dans les co-responsabilités au sein des territoires où la conservation par zone est appliquée. Pour ce faire, le nouveau cadre devrait amener des changements significatifs dans la manière dont la conservation est réalisée sur le terrain.

Une part importante de la biodiversité que le monde abrite encore est conservée par les Peuples Autochtones et les communautés locales grâce à leurs lois et leurs cultures coutumières. Malheureusement cependant, les violations des droits humains au nom de la conservation persistent dans la pratique (article en anglais). C’est pourquoi il reste important de plaider en faveur d’instruments juridiques de protection renforcée et de mesures qui obligent les responsables à rendre des comptes. Grâce aux efforts des divers détenteurs de droits et des parties prenantes lors du processus de négociation, le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 entérine un niveau de reconnaissance des Peuples Autochtones et des communautés locales inédit dans le processus de la CDB des Nations Unies. Cette reconnaissance offre ainsi un nouveau levier juridique et politique important pour faire pression en faveur de la réduction et l’élimination des violations des droits au nom de la conservation.

Plusieurs autres cibles du cadre traitent des questions de justice et d’équité, notamment :

  • La cible 1 : veiller à un aménagement participatif et inclusif du territoire ;
  • La cible 4 : reconnaître les interactions entre l’humain et la faune sauvage gérées efficacement afin de réduire au minimum les conflits entre les deux pour assurer leur coexistence, favoriser la diversité génétique et leur potentiel d’adaptation pour la conservation in situ ;
  • La cible 5 : respecter et protéger l’utilisation durable coutumière dans l’utilisation, la récolte et le commerce des espèces sauvages ;
  • La cible 9 : protéger et promouvoir l’utilisation coutumière des Peuples Autochtones et des communautés locales car elle procure des avantages sociaux, économiques et environnementaux aux populations ;
  • La cible 10 : inclure l’agroécologie comme stratégie de production durable ;
  • La cible 13 : assurer un partage juste et équitable des avantages en prenant des mesures juridiques, administratives ou politiques efficaces dans l’utilisation des ressources génétiques ;
  • La cible 19: renforcer le rôle des actions collectives, notamment celles menées par les Peuples Autochtones et les communautés locales, le rôle des actions centrées sur la Terre nourricière et les approches non-marchandes pour la mobilisation de ressources ;
  • La cible 21 : veiller au consentement libre, informé et préalable dans le partage des connaissances ;
  • La cible 22: garantir la participation pleine, effective et équitable des Peuples Autochtones et des communautés locales dans la prise de décision et assurer l’accès à la justice et à la protection pour les défenseurs de l’environnement ;
  • La cible 23: garantir l’égalité des genres.

Par rapport au plan stratégique pour la biodiversité et aux objectifs d’Aïchi adoptés lors de la COP10 en 2010, ce cadre représente une avancée significative pour la justice sociale et environnementale en général, et en particulier pour les droits spécifiques aux Peuples Autochtones et aux communautés locales dans le contexte de la CDB des Nations Unies.

Le cadre n’est pas la seule décision adoptée lors de la COP15. De nombreuses autres décisions, notamment celles relatives aux protocoles de Carthagène et de Nagoya, à la nature et à la culture, à l’élaboration d’un nouveau programme de travail sur l’article 8(j) et les provisions connexes, et au plan d’action pour l’égalité des sexes, comportaient également des dispositions relatives à l’équité, à la justice, aux droits ainsi qu’aux rôles et contributions des Peuples Autochtones et des communautés locales.

Plusieurs Membres et Membres d’Honneur du Consortium APAC étaient présents à Montréal lors des négociations pour défendre collectivement les priorités auto-déterminées des Peuples Autochtones et des communautés locales, notamment celles des femmes et de la jeunesse. Une partie importante de ce processus a consisté à partager les expériences et les perspectives des territoires de vie du monde entier.

Joseph Itongwa (ANAPAC-RDC et Coordinateur régional du Consortium APAC pour l’Afrique centrale) a déclaré que : « Les connaissances traditionnelles et l’équité sont des éléments importants à prendre en compte dans le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. Nous devons protéger les systèmes traditionnels de gestion de la biodiversité des Peuples Autochtones afin d’aider les gouvernements à atteindre les objectifs de conservation pour vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050 ».

Soulignant le rôle exceptionnel des Peuples Autochtones dans la conservation de la biodiversité et la lutte contre la dégradation du climat, Giovanni Reyes, du Consortium APAC philippin, a rappelé que « le manque de ressources financières adéquates est l’une des raisons de l’échec des précédents objectifs mondiaux en matière de biodiversité ». Il a souligné que « lors de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP26), l’engagement en faveur du climat a clairement montré que la contribution cruciale des Peuples Autochtones à la protection des forêts, notamment grâce à leurs droits fonciers et leur gestion des forêts tropicales et subtropicales, était déterminante pour lutter contre le changement climatique ».

Les communautés gardiennes des territoires de vie marins étaient également présentes à Montréal. Pérsida Chauquenao, une leader mapuche, a raconté comment le gouvernement chilien a officiellement reconnu les lois et les normes coutumières autochtones. Nos Membres du Chili, notamment les communautés mapuches, travaillent activement pour aborder ce cadre juridique, comprendre sa mise en œuvre dans la pratique, et proposer des recommandations de modification pour une reconnaissance et un soutien plus appropriés.

Le moment est venu d’agir rapidement et de faire preuve de créativité dans l’interprétation et la mise en œuvre aux niveaux nationaux, de construire des partenariats significatifs et respectueux et de s’assurer que des ressources et un soutien adéquats soient directement accessibles pour les Peuples Autochtones et les communautés locales afin qu’ils puissent concrétiser leurs priorités auto-déterminées pour leurs territoires de vie.


Note de l’éditrice : En 2023, des changements sont prévus dans l’équipe qui apporte son soutien à la politique internationale au sein du Secrétariat, notamment avec la formation d’équipes spécifiques aux régions, dédiées à la politique et au plaidoyer. Comme ces changements sont toujours en cours à l’heure de la publication de cet article, nous avons conservé les titres que portaient Ameyali, Carolina et Aquilas lors de la COP15 en décembre 2022.

Traduction : Mathilde Craker et Gaëlle Le Gauyer.

PLUS D’INFORMATIONS