Une vision pour les APAC - territoires de vie aquatiques du Sénégal
First published on 05/29/2025, and last updated on 05/31/2025
Par Salatou Sambou
Au Sénégal, la gouvernance des ressources naturelles repose sur toute une variété de mesures de conservation par zone, avec différents objectifs, cadres institutionnels, et approches participatives. Parmi ces modèles, on peut notamment citer les Aires marines protégées (AMP) et Zones de pêches protégées (ZPP), les Zones de patrimoine protégé (ZPP), les Aires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC), et les Réserves naturelles. Ces approches visent à équilibrer conservation, développement socio-économique et préservation culturelle, mais se distinguent par leurs mécanismes de gestion et leur portée.
L’objectif principal des Aires marines protégées (AMP) et des Zones de pêches protégées (ZPP) est de conserver la biodiversité marine et côtière tout en facilitant l’exploitation durable des ressources marines. La gestion par l’État, ou parfois la cogestion avec les communautés locales, est une approche courante dans les AMP et les ZPP. Cependant, ces AMP et ZPP sont limitées par des difficultés de suivi liées à l’immensité des aires marines et aux conflits entre conservation et exploitation économique pour la pêche.
Les Zones de patrimoine protégées (ZPP), quant à elles, visent à préserver les habitats naturels ou vivent les espèces menacées, en limitant strictement les activités humaines grâce à une gestion centralisée qui exclue souvent les populations locales. La principale limite de ces zones est la faible intégration des communautés locales, parfois source de conflits d’usage.
Dans notre région, les réserves naturelles visent à préserver la biodiversité et les paysages à des fins scientifiques, éducatives ou écotouristiques. Leur gestion est principalement centralisée ou décentralisée, selon le cadre institutionnel. Cependant, elles restreignent fortement les activités locales, ce qui peut marginaliser les populations riveraines.
Ce qu’apporte les APAC
L’objectif principal des Aires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC) est de protéger les écosystèmes et de promouvoir les savoirs traditionnels en plaçant les communautés locales au cœur de leur gestion. Les APAC reposent sur une gouvernance endogène et participative, fondée sur les pratiques culturelles locales. En Afrique de l’Ouest, les APAC sont confrontées à un manque de reconnaissance juridique et à un financement limité.
Pour les Peuples Autochtones et les communautés locales d’Afrique de l’Ouest, les APAC se distinguent par leur approche communautaire et intégrative :
- Participation locale : les APAC impliquent directement les populations dans la gouvernance, en favorisant l’adhésion aux objectifs de conservation.
- Savoirs traditionnels : elles valorisent les pratiques locales et culturelles, en offrant des solutions adaptées et durables.
- Développement intégré : en associant conservation et développement économique (écotourisme, microfinance), elles créent des opportunités pour améliorer les conditions de vie des communautés.
Ces spécificités leur confèrent un avantage significatif, notamment dans des contextes où les interactions entre populations et écosystèmes sont vitales. Contrairement à d’autres modèles centralisés (comme les AMP ou les réserves naturelles), les APAC renforcent l’appropriation locale et minimisent les conflits d’usage.
Les APAC se révèlent donc particulièrement pertinentes à plusieurs égards, tant sur les plans écologique et social qu’économique. Sur le plan de la conservation, elles jouent un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité, des sols et des ressources en eau. Elles revêtent également une forte dimension culturelle et sociale, en contribuant à la sauvegarde des identités locales et à la transmission intergénérationnelle des savoirs.
Face aux changements climatiques, les APAC offrent des solutions d’adaptation fondées sur des pratiques traditionnelles éprouvées, réduisant ainsi la vulnérabilité des écosystèmes. Enfin, leur mode de gouvernance participatif constitue un modèle inclusif qui permet d’articuler développement économique local et préservation durable des ressources naturelles.
Les APAC font face à plusieurs limites qui freinent leur plein épanouissement et leur reconnaissance. Tout d’abord, leur manque de reconnaissance juridique les rend vulnérables aux pressions extérieures, comme l’exploitation illégale des ressources ou l’accaparement des terres, en l’absence d’une protection institutionnelle solide. Elles rencontrent également des contraintes financières, dues à une forte dépendance aux financements externes et à l’absence de mécanismes durables permettant d’assurer leur viabilité. De plus, elles subissent diverses pressions liées aux activités humaines et aux changements climatiques, notamment la déforestation, la raréfaction des ressources naturelles et l’avancée de la salinité. Enfin, leur isolement géographique complique la gestion et la surveillance sur le terrain, limitant ainsi leur capacité à se protéger efficacement.
Ouvertures et perspectives dans le cadre de la Vision Sénégal 2050
La Vision Sénégal 2050, centrée sur le développement durable et les pôles territoriaux, offre des opportunités concrètes pour renforcer et intégrer les APAC à travers plusieurs types d’actions. Cela passe d’abord par leur institutionnalisation, grâce à une reconnaissance juridique et une intégration dans le cadre national des aires protégées, afin de sécuriser la gouvernance des APAC à long terme. Il s’agit aussi de valoriser économiquement ces aires en promouvant des activités génératrices de revenus, telles que l’écotourisme ou l’exploitation durable des ressources naturelles, pour garantir leur viabilité financière.
Une coordination étroite avec les pôles territoriaux est également essentielle, à travers une planification intégrée positionnant les APAC comme des points d’ancrage de projets structurants, tout en favorisant les synergies locales, notamment avec des initiatives en agriculture durable ou en infrastructures écologiques. Le renforcement des capacités locales constitue un levier important, par la formation des gestionnaires communautaires et le soutien à la résilience des écosystèmes face aux effets du changement climatique.
Enfin, la mobilisation de partenariats stratégiques, associant acteurs locaux, nationaux et internationaux, permettra de soutenir des projets inclusifs, durables et porteurs de transformation.
Les APAC constituent un modèle innovant et pertinent pour concilier conservation, développement économique et préservation culturelle. Leur mise en valeur dans le cadre des pôles territoriaux et de la Vision Sénégal 2050 peut en faire des moteurs du développement durable et inclusif. En les institutionnalisant et en intégrant leurs spécificités dans les réformes à venir, le Sénégal pourrait renforcer son ambition pour construire un avenir résilient et équilibré pour ses territoires.
Salatou Sambou : basé en Casamance, au Sénégal, Salatou est un pêcheur originaire de Casamance. Il fût le premier président de l’Association des Pêcheurs de la Communauté Rurale de Mangagoulack (APCRM), l’une des premières organisations Membres du Consortium.