Un appel à l’action en provenance des territoires de vie marins
First published on 06/09/2025
Par le Consortium APAC
Nous sommes une association de Peuples Autochtones, de Communautés Locales, de communautés Afro-descendantes, de communautés de pêche artisanale et d’organisations alliées qui soutiennent le mouvement des communautés pour préserver et défendre leurs APAC-territoires de vie côtiers et marins, lesquelles sont profondément engagées dans la conservation communautaire marine et côtière.
Au moment où l’UNOC 3 se déroule à Nice, en France, du 8 au 13 juin, sur le thème « Agir plus vite et mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l’océan », nous présentons cette déclaration et réaffirmons que les Peuples Autochtones et les Communautés Locales jouent un rôle majeur dans la gouvernance, la conservation, et l’utilisation durable de nos océans. Les territoires et aires conservés par les Peuples Autochtones et les Communautés Locales, ou APAC (aires du patrimoine autochtone et communautaire), sont des territoires de vie essentiels à la biodiversité, aux services écosystémiques et aux valeurs culturelles. Parmi les exemples de ces territoires dans les aires marines et côtières figurent les domaines ancestraux, les aires marines gérées localement, les aires marines de pêche responsable et les aires marines côtières des Peuples Autochtones.
Article 1 : réaffirmation de notre engagement en faveur de la conservation marine communautaire
Nous réitérons notre position inébranlable selon laquelle une gouvernance durable des océans doit placer au centre le leadership, les savoirs et les droits des Peuples Autochtones et des Communautés Locales (PACL), qui protègent depuis de nombreuses générations les écosystèmes marins et côtiers au moyen de lois coutumières, de responsabilités sacrées et de systèmes de gestion adaptatifs. Nous rejetons les modèles de gouvernance qui marginalisent ou effacent nos voix, et nous appelons à la pleine reconnaissance et à l’intégration des pratiques de conservation communautaire dans les cadres locaux, nationaux, régionaux et internationaux. Cet engagement est vital pour atteindre les objectifs mondiaux, notamment ceux de l’Agenda 2030 pour le développement durable, en particulier l’ODD14 (Vie aquatique).
Article 2 : sur la participation pleine et effective des Peuples Autochtones et des Communautés Locales
Nous affirmons que la participation pleine et effective des Peuples Autochtones et des Communautés Locales est fondamentale pour parvenir à une gouvernance des océans juste, équitable et durable. Cette participation doit aller au-delà de la simple inclusion symbolique pour permettre aux PACL, en tant que détenteurs de droits en vertu du droit international, d’influencer réellement les décisions à tous les niveaux, notamment à travers des mécanismes culturellement appropriés, accessibles, dotés de ressources suffisantes et qui respectent le principe du consentement préalable, libre et éclairé (FPIC). Nous appelons la Conférence des Nations Unies sur l’Océan à institutionnaliser des processus inclusifs qui intègrent activement les savoirs, le leadership et les priorités des PACL, en particulier des femmes, de la jeunesse, des aînés, des personnes en situation de handicap et des communautés de pêcheurs nomades et artisanaux : sans notre leadership, aucun agenda mondial pour les océans ou pour la biodiversité ne peut être légitime ni efficace. Cette position est appuyée par les principes évoqués dans les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté (Directives sur la pêche artisanale).
L’exclusion des Peuples Autochtones, des Communautés Locales et de leurs organisations représentatives de ces forums mondiaux majeurs sape non seulement la légitimité des processus multilatéraux, mais également l’efficacité des objectifs mondiaux pour la biodiversité, tels que le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal et d’autres initiatives se focalisant sur la biodiversité et qui nécessitent la participation des Peuples Autochtones et des Communautés Locales pour réussir.
Article 3: reconnaissance des savoirs et des contributions des Peuples Autochtones et des Communautés Locales
Nous soulignons que les Peuples Autochtones et les Communautés Locales détiennent des systèmes de savoirs complexes et ancrés dans les territoires, essentiels à la résilience des zones côtières et marines. Ces systèmes incluent des régimes fonciers coutumiers marins, des pratiques de gestion saisonnières, des zones sacrées où les prélèvements sont interdits, et des mesures de conservation mises en place par les communautés. Ces systèmes de savoirs doivent être reconnus comme faisant autorité, et non considérés comme secondaires ou en sus des approches scientifiques ou étatiques.
Nous exhortons l’UNOC et tous les processus associés à créer des espaces significatifs de partage des savoirs, de co-création de solutions et de modèles de gouvernance conjointe qui respectent les droits et le leadership des Peuples Autochtones et des Communautés Locales, en accord avec les principes de la gestion basée sur les écosystèmes (Ecosystem-Based Management, EBM).
Article 4: sur les droits, l’équité et la justice dans la gouvernance des océans
Nous demandons que les cadres de gouvernance des océans, à tous les niveaux, soient fondés sur les principes de justice, d’équité, de droits humains et de droits collectifs des Peuples Autochtones et des Communautés Locales, tels qu’énoncés dans les instruments internationaux comme la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP), la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et la Convention n°169 de l’Organisation internationale du travail. Cela s’aligne également avec l’importance accordée aux droits humains dans les Directives sur la pêche artisanale, ainsi qu’avec le cadre juridique de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS), qui constitue la base légale des activités en mer.
Cela implique d’assurer le consentement préalable, libre et éclairé (FPIC) dans toutes les décisions affectant les territoires marins et côtiers des Peuples Autochtones et des Communautés Locales, un accès direct aux fonds pour le climat et la conservation sans discrimination ou obstacles bureaucratiques, ainsi que des mécanismes robustes pour protéger les défenseurs marins et gardiens côtiers des Peuples Autochtones et des Communautés Locales contre la criminalisation et la violence, conformément à l’approche de conservation basée sur les droits humains.
Article 5 : accès direct, sans entrave et équitable aux ressources financières
Nous affirmons que les Peuples Autochtones et les Communautés Locales doivent bénéficier d’un accès direct, sans entrave et équitable aux ressources financières, sans obstacles politiques ou juridiques tels que les sanctions ou les mesures coercitives unilatérales (MCU), afin de soutenir leurs efforts de conservation marine et côtière. Les mécanismes de financement doivent être conçus de manière à garantir un transfert des ressources sans barrières discriminatoires, sans ingérence politique, et sans intermédiaires superflus. Cela afin de permettre aux Peuples Autochtones et aux Communautés Locales, y compris les femmes, les jeunes, les aînés, les personnes en situation de handicap, les communautés nomades et les pêcheurs artisanaux, d’exercer pleinement leur droit à un développement et à une gouvernance auto-déterminés. Nous appelons la Conférence des Nations Unies sur l’Océan ainsi que tous les acteurs concernés à mettre en place des mécanismes de financement décolonisés, transparents et simplifiés, fondés sur les droits, la redevabilité et la réactivité. Ces mécanismes doivent renforcer la capacité des Peuples Autochtones et des Communautés Locales à mettre en œuvre leurs priorités et solutions pour la santé des océans et le bien-être des générations futures. Cette vision est intrinsèquement liée à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) et à la réponse aux défis mondiaux identifiés dans l’Accord de Paris sur le climat et le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe.
Article 6 : de l’importance de l’Accord BBNJ et de la gouvernance de la haute mer
Nous reconnaissons l’adoption, en 2023, de l’Accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (Accord BBNJ), dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, comme une avancée historique pour la protection de la biodiversité marine en haute mer. Cet accord souligne l’importance des outils de gestion spatiale, notamment les aires marines protégées, ainsi que le partage équitable des bénéfices tirés des ressources génétiques marines. Toutefois, pour que l’Accord BBNJ soit véritablement efficace et juste, il doit pleinement respecter et intégrer les droits, les systèmes de savoirs et le rôle de leadership des Peuples Autochtones et des Communautés Locales, en particulier celles et ceux qui assurent la gouvernance et la protection des zones marines voisines ou affectées par les décisions relatives à la haute mer. Nous appelons toutes les parties à l’Accord BBNJ à veiller à ce que sa mise en œuvre soit conforme aux obligations en matière de droits humains, y compris le droit au consentement préalable, libre et éclairé (FPIC), et à mettre en place des mécanismes garantissant la participation pleine, effective et significative des Peuples Autochtones et des Communautés Locales aux processus décisionnels relatifs à la gouvernance des océans au-delà des juridictions nationales.
Article 7 : notre vision pour l’avenir
Nous, le Consortium APAC et ses organisations Membres, nous tenons prêts à collaborer avec les gouvernements, les instances internationales, la société civile et tous les acteurs concernés pour renforcer des modèles de gouvernance marine qui préservent l’intégrité des écosystèmes tout en honorant les droits, les cultures et le leadership des Peuples Autochtones et des Communautés Locales.
Nous voulons voir des océans riches en biodiversité, gouvernés de manière juste, inclusive et ancrée dans les réalités vécues par les peuples et communautés qui en dépendent étroitement.
La Conférence des Nations Unies sur l’Océan de 2025 doit être un espace d’apprentissage collectif, d’échange de savoirs et de solidarité. Ce n’est que par la participation pleine et effective des Peuples Autochtones et des Communautés Locales que nous pourrons opérer les transformations profondes nécessaires pour protéger les océans et assurer le bien-être de toutes les formes de vie sur Terre pour les générations futures.
Engagement pour les océans : documenter les APAC-territoires de vie marins et côtiers
On observe souvent une association étroite entre un Peuple Autochtone ou une Communauté Locale et un territoire, une aire ou un ensemble de ressources naturelles spécifiques. Lorsqu’un tel lien entre peuple et territoire s’accompagne d’une gouvernance coutumière efficace et de la conservation de la nature, on parle d’aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC). Ces territoires, conservés par les Peuples Autochtones et les Communautés Locales, sont des territoires de vie.
Dans les milieux marins, côtiers et insulaires, cette relation inclut les droits des communautés de pêche artisanale à participer à la gestion intégrée des pêcheries à petite échelle et à en assumer la responsabilité, sur la base de la reconnaissance et de la protection de leurs droits d’accès aux ressources halieutiques.
Pour beaucoup, ce lien est une source d’identité, de culture, d’autonomie et de liberté. Il constitue également un fondement de santé, de subsistance et de bien-être collectif. C’est le fil conducteur entre les générations, qui préserve les mémoires du passé tout en tissant un avenir désiré. C’est à partir de ce lien que les communautés apprennent, identifient leurs valeurs et établissent leurs propres règles de gouvernance.
Les APAC-territoires de vie marins et côtiers sont de plus en plus reconnus comme des systèmes durables pour soutenir les modes de vie autochtones et locaux. Grâce à la reconnaissance des droits d’accès aux ressources et aux marchés pour les pêcheries artisanales, à l’équité tout au long de la chaîne de valeur, et à une gouvernance locale des pêches et de la conservation, les ressources marines sont gérées de manière durable et équitable par celles et ceux dont les moyens de subsistance en dépendent directement.
Parmi les nombreux exemples de ces territoires de vie figurent les aires marines gérées localement dans plusieurs États insulaires, les associations de pêcheurs et les aires du patrimoine communautaire au Sénégal, les aires marines de pêche responsable au Costa Rica, les aires marines et côtières des Peuples Autochtones au Chili, les aires communautaires de pêche vivrière à Hawaï, ainsi que les aires protégées et conservées autochtones au Canada.
Il existe une grande diversité de formes que peuvent prendre les territoires de vie marins et côtiers, car aucune communauté n’entretient exactement la même relation avec la mer. Ces variations d’une communauté à l’autre reflètent la vitalité des écosystèmes locaux et offrent des approches souvent mieux adaptées que les dispositifs de conservation et de gestion halieutique imposés de manière centralisée et descendante.
Avec le consentement préalable, libre et éclairé des communautés concernées, de nombreux territoires de vie peuvent contribuer au renforcement de la durabilité des pêcheries, à la gestion des écosystèmes marins et côtiers, à la réduction de la pollution marine, ainsi qu’à la conservation efficace des mangroves et des récifs coralliens. Contrairement aux aires marines protégées (AMP), qui excluent souvent les droits d’accès des Peuples Autochtones et des Communautés Locales et sont généralement créées et gérées par des entités extérieures, les APAC marines et côtières sont gouvernées localement et gérées par les communautés elles-mêmes, assurant ainsi que les bénéfices sociaux, économiques, nutritionnels et écologiques reviennent à la communauté. Les droits d’accès aux ressources et aux marchés pour les pêcheries artisanales sont au cœur de ces systèmes de gestion durable.
Un aspect essentiel de ces droits réside dans la capacité à les défendre face à des usages concurrents non durables, comme la pêche industrielle. Même dans les pays qui soutiennent les pêches artisanales et interdisent la pêche industrielle dans les zones côtières, les APAC peinent à faire respecter ces interdictions. Un effort mondial est nécessaire pour mettre en œuvre et garantir ces droits.
En tant qu’association internationale œuvrant pour la reconnaissance appropriée et le soutien des territoires de vie à travers le monde, nous nous engageons collectivement à accompagner, en partenariat avec les communautés et les organisations de soutien à l’échelle locale et nationale, la documentation d’un nombre croissant de territoires de vie marins et côtiers au cours des cinq prochaines années.
Cette documentation est menée par les communautés gardiennes et coutumières des APAC elles-mêmes. Nous veillerons à ce que nos organisations Membres, les réseaux nationaux APAC et les consortiums régionaux disposent des ressources nécessaires via des mécanismes financiers supervisés par les gouvernements, les instances intergouvernementales et les bailleurs de fonds de la conservation, pour documenter leurs territoires de vie marins dans une perspective de long terme de préservation et de défense de ces territoires.
D’ici 2026, nous visons à co-créer et diffuser douze études de cas illustrant la durabilité et la défense des APAC territoires de vie marins et côtiers. Nous prévoyons également de documenter cinq APAC marines et côtières à l’aide du processus de renforcement autonome des APAC, et de soutenir leur inscription dans le registre mondial des APAC d’ici 2028, puis cinq autres d’ici 2030.