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Décoloniser la conservation dans le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020

Les Parties doivent aligner les objectifs et les cibles du cadre pour l'après-2020 sur les valeurs, la vision et le leadership autodéterminés des gardiens des territoires de vie afin de garantir une planète saine et durable pour tous

Carmen Pirucho, sage de la communauté Soledad (située en territoire intégral Wampís, dans l’Amazonie péruvienne) tandis qu’elle travaille dans sa chacra (potager). Photo : Candy López

First published on 03/12/2022, and last updated on 09/22/2023

Par Ameyali Ramos
Coordinatrice de politique internationale, Consortium APAC

Les Parties et les observateurs à la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) se réuniront à Genève, en Suisse, du 13 au 29 mars 2022, pour reprendre les négociations en présentiel (pour la première fois depuis plus de deux ans) sur l’actuel projet de cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 (cadre post-2020), qui se veut un plan stratégique ambitieux pour sauvegarder et protéger la biodiversité mondiale. Si certains progrès ont été réalisés, il reste encore beaucoup à faire pour que le cadre post-2020 soit le cadre transformateur qu’il est censé être. 

Ces derniers mois, il y a eu une reconnaissance croissante des droits et rôles des gardiens – Peuples Autochtones et communautés locales – dans le maintien de leurs terres collectives et de leurs territoires de vie ; toutefois, la simple reconnaissance ne suffit pas. Il reste encore beaucoup de progrès à faire pour que les gardiens des territoires de vie soient pleinement reconnus comme titulaires de droits, que leurs territoires de vie soient défendus de manière appropriée et que leurs droits et responsabilités à l’égard de ces territoires soient mis en pratique, conformément à leurs priorités autodéterminées. Lors des prochaines négociations, les Parties doivent aligner les objectifs et les cibles du cadre post-2020 sur les valeurs, la vision et le leadership autodéterminés des gardiens des territoires de vie afin de garantir une planète saine et durable pour tous.

Le Consortium APAC a suivi de près le processus post-2020 depuis le début et se prépare collectivement et stratégiquement aux négociations à venir. Plus précisément, le Consortium APAC affirme les priorités suivantes pour les sessions de Genève : 

  • Tout d’abord, rehausser l’ambition et la responsabilité des objectifs destinés à mettre un terme aux facteurs directs et indirects de perte de biodiversité.  Plus précisément, l’objectif B et les cibles 7, 8, 10, 11, 15, 16 et 18 doivent être plus ambitieux et plus clairs. Tout objectif ou accomplissement relatif à la conservation par zone sera largement supplanté par des industries destructrices telles que l’exploitation minière et forestière et les méga-infrastructures. Ce sont ces mêmes industries qui menacent directement les territoires de vie et la conservation de la nature. La protection et la conservation d’une fraction de la planète seront totalement insuffisantes pour résoudre notre crise planétaire si la consommation mondiale, les inégalités et l’injustice continuent d’augmenter. 
  • Deuxièmement, le cadre post-2020 doit reconnaître explicitement les territoires de vie et le rôle majeur de leurs gardiens dans la protection et la conservation de la nature. Cela inclut la reconnaissance générale de leurs droits, y compris celui à l’autodétermination, et la reconnaissance spécifique des droits aux terres, eaux et territoires collectifs, à la gouvernance et aux systèmes culturels, ainsi qu’au consentement libre, informé et préalable. Ces droits doivent être spécifiquement reconnus – au minimum – dans la section 2bis, aux objectifs A, C et D, aux cibles 1, 3, 13 et 21, et dans les indicateurs pertinents. Les gardiens et leurs territoires de vie continueront probablement à faire face à une pression croissante sur leurs terres et leurs eaux, exercée par les industries polluantes et par les approches top-down de la conservation. Toutefois, sécuriser les droits collectifs donnera à la fois aux gardiens des territoires de vie et au reste de la planète une chance de gagner cette bataille. 
  • Troisièmement, il est essentiel d’accroître le soutien politique, juridique, technique et financier aux gardiens des territoires de vie afin qu’ils puissent nourrir leurs relations avec leurs territoires, s’auto-organiser et renforcer leurs systèmes de gouvernance et leurs droits collectifs. Cela nécessitera des changements transformateurs dans les lois, les politiques, les processus de financement et les relations de pouvoir dans le domaine de la conservation.  Dans le cadre post-2020, l’objectif D, le jalon D.2 et la cible 19 doivent être rendus accessibles et inclure un soutien spécifique aux Peuples Autochtones et aux communautés locales.  
  • Quatrièmement, les droits humains doivent être placés au cœur du cadre post-2020. Le Conseil des droits de l’homme a récemment reconnu le droit à un environnement sain et durable, soulignant leur interconnection. Bien que la CDB soit un accord environnemental, les gouvernements ne peuvent plus prétendre que les droits humains n’y ont pas leur place. Cela est particulièrement vrai pour la cible 3 (communément appelé l’objectif « 30×30 »), qui peut tout aussi bien favoriser la reconnaissance et le soutien aux droits collectifs et rôles des gardiens des territoires de vie, ou au contraire exacerber les menaces, les abus et les injustices
  • Enfin, nous devons penser à la mise en œuvre du cadre post-2020, en particulier aux niveaux national et infranational. Les Peuples Autochtones et les communautés locales qui préservent les terres et les territoires de vie collectifs sont en position de force sur le plan moral et disposent d’un pouvoir politique croissant. Les organisations autochtones et communautaires, ainsi que ceux qui les soutiennent, doivent être créatifs et stratégiques dans leur manière de s’engager dans le plaidoyer auprès des gouvernements, des bailleurs de fonds et des ONG de conservation, tout en étant très conscients des contraintes et des défis que présente le système d’État-nation.

L’intégration de ces priorités dans le cadre post-2020 constituera sans aucun doute une grande avancée vers un un forum multilatéral, tant au niveau du processus que du résultat. Plus largement, cependant, un changement systémique est nécessaire dans l’industrie dominante de la conservation, car c’est là qu’une grande partie du pouvoir est encore détenue et que de nombreuses décisions seront prises dans les mois à venir, au moment où les Parties à la CDB, les bailleurs de fonds et autres chercheront à mettre en œuvre le cadre post-2020.  

L’industrie dominante de la conservation doit être considérée et traitée comme telle, et le même niveau d’examen et d’attentes en matière de transparence et de responsabilité doit être appliqué tout au long de la chaîne d’approvisionnement de la conservation, comme nous le faisons pour toute société multinationale qui cause du tort aux communautés et à la planète. Les grandes ONG multinationales dominent toujours la conservation traditionnelle et elles agissent et sont structurées comme des monopoles, mais elles ne doivent pas être considérées ou soutenues comme les intermédiaires et les canaux nécessaires pour soutenir les Peuples Autochtones et les communautés locales ou pour la conservation au sens large. Une diversification et une localisation beaucoup plus importantes des institutions, initiatives et mécanismes de conservation sont nécessaires et devraient constituer une priorité dans la mise en œuvre du cadre post-2020.

De manière plus générale, il est nécessaire d’éradiquer toutes les formes de colonialisme, de capitalisme destructeur, d’injustice et d’inégalité systémiques, et d’opérer une transition régénératrice, partant du niveau local et allant jusqu’au niveau mondial, vers des visions du monde et des modes de vie en harmonie avec la Terre Mère.


Pour en savoir plus sur notre planification collective et notre travail de politique internationale, veuillez consulter les sites suivants :

  • Processus collectif d’apprentissage et de partage : au cours des six derniers mois, nous nous sommes engagés dans un processus de réflexion et d’apprentissage profond et significatif avec les Membres autochtones et communautaires sur les priorités clés et le cadre post-2020. Les voix des gardiens des territoires de vie sur le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 (Voices from Custodians of Territories of Life on the Post-2020 Global Biodiversity Framework) présente un résumé des principales discussions et priorités. Pour des informations plus détaillées sur ce processus collectif, veuillez envoyer un courriel à Carolina Rodriguez
  • Un document vivant sur les indicateurs et le langage cible suggéré : les Membres et Membres d’Honneur ont travaillé pour définir collectivement les indicateurs appropriés et le langage cible suggéré. Si vous souhaitez voir une copie du document vivant et/ou rejoindre le groupe de travail sur les indicateurs, veuillez envoyer un courriel à Ameyali Ramos
  • Mise en œuvre d’une approche fondée sur les droits humains : la théorie du changement contenue dans le premier projet du cadre post-2020 reconnaît « la nécessité d’une reconnaissance appropriée du genre, de l’égalité, de l’autonomisation des femmes, de la jeunesse, des approches sensibles au genre et de la participation pleine et effective des Peuples Autochtones et des communautés locales dans la mise en œuvre de ce cadre » et s’engage à ce « qu’il soit mis en œuvre en adoptant une approche fondée sur les droits et en reconnaissant le principe d’équité intergénérationnelle ». Le projet confirme également que « le succès dépendra de l’intégration des approches fondées sur les droits et de la prise en compte de l’ensemble des facteurs indirects causant la perte de biodiversité ». Ce document d’information cherche à déchiffrer ce que ces engagements signifient dans la pratique, en intégrant les principes juridiques internationaux relatifs aux droits humains et en les appliquant au cadre post-2020.  En s’appuyant sur les analyses précédentes d’avril 2021 et d’août 2021, ce document vise à alimenter une discussion plus approfondie sur le suivi et la révision, y compris des indicateurs proposés à tous les niveaux pour évaluer les progrès, les succès et les faiblesses. Pour plus d’informations, veuillez contacter Ameyali Ramos.  
  • Peuples Autochtones, communautés locales et objectifs de conservation par zone (lancement prévu le 16 mars) : ce dossier vise à clarifier l’intersection entre le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 et les droits à la terre et aux ressources, la gouvernance collective et l’autodétermination des Peuples Autochtones et des communautés locales, en particulier dans le contexte de la cible 3. Le terme « autres mesures efficaces de conservation par zone » fait partie du texte proposé à l’objectif 3, mais est relativement peu connu, malgré les récentes tentatives de définition et de systématisation de son utilisation. Ce dossier examine la signification et l’utilisation de ce concept et explore les implications potentielles pour les Peuples Autochtones et les communautés locales. Il conclut sur des propositions d’amélioration de la cible 3 en termes de garantie et de renforcement de la mise en œuvre des droits et de l’autodétermination des Peuples Autochtones et des communautés disposant de systèmes collectifs de droits fonciers et de gouvernance. Pour plus d’informations, veuillez contacter Ameyali Ramos.  

Traduction : Aquilas Koko Ngomo