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Des ateliers sur le renforcement autonome dans les territoires de vie de Bétynti et Moundé au Sénégal

En soutenant et renforçant les territoires au niveau local, ce type d’ateliers jette les bases d'un réseau solide d'APAC-territoires de vie à travers le Sénégal et l'Afrique

Les participants de la communauté de Moundé lors de l’atelier.

First published on 01/22/2023, and last updated on 02/14/2023

Par George Smith


Le territoire de vie emblématique de Kawawana, situé en Casamance sénégalaise, a inspiré un mouvement en plein essor, vers la construction d’un réseau national d’APAC dynamique et résilient. Ce mouvement est profondément enraciné dans le travail local et communautaire, qui vise la consolidation des APAC dans tout le pays et au-delà, que ces APAC soient « définies », « perturbées » ou « désirées ».

Les territoires de vie, connus dans certains contextes sous le nom d’APAC, sont des territoires et aires conservés par les Peuples Autochtones et les communautés locales. Ils sont aussi variés que les peuples et les communautés qui les façonnent et les préservent grâce à la spécificité de leurs cultures, leurs systèmes de gouvernance et leurs pratiques.

Dans le cadre du processus de renforcement autonome développé par le Consortium APAC, une série d’ateliers a été proposée pour accompagner les communautés dans la définition de leurs besoins et aspirations pour leurs territoires de vie. En tant que stagiaire doctorant pour le territoire de vie de Kawawana, j’ai été invité en mai 2022 par Salatou Sambou, Coordinateur régional du Consortium APAC pour l’Afrique de l’Ouest et mon hôte pendant mon séjour, à observer et participer à ces ateliers.

Un premier atelier de deux jours a été réalisé dans le village de Moundé, où nous avons accompagné plusieurs membres de la communauté dans leur travail pour établir leur propre APAC, qu’ils et elles dénomment Wacc Bassil – « notre mère nourricière » en langue sérère. Nous avons ensuite descendu le delta du fleuve Sine-Saloum jusqu’à son estuaire, en compagnie de Salatou Sambou, mandaté par son association KABEKA, ainsi que des représentants de l’Assemblée nationale des APAC du Sénégal (ANAPAC) et de l’ONG Natural Justice, pour nous rendre dans le territoire de vie de Bétynti.

A Moundé, vers plus de confiance dans la capacité unique de la communauté à préserver son APAC

Moundé est une petite communauté de pêcheurs. Elle compte environ 2000 habitants de l’ethnie Sérère, dont le village est au cœur d’un écosystème riche, composé de cours d’eau estuariens et de forêts de mangroves, qui abritent une abondante diversité de faune et de flore. Comme Moundé est inaccessible en voiture, nous avons fait les dernières étapes de notre voyage en canoë, filant sur l’eau soyeuse alors que la nuit nous enveloppait. 

Le pont menant au village de Moundé.

Les objectifs définis pour cette visite étaient de permettre à la communauté de Moundé :

  • D´approfondir la conscience et la compréhension de son APAC, et notamment son rôle dans un réseau plus large d’APAC au Sénégal et dans le monde entier ;
  • De mieux apprécier et reconnaître sa propre histoire, sa culture et ses institutions de gouvernance ;
  • De mieux gouverner et gérer son APAC avec intégrité et vision ;
  • De renforcer ses liens avec les autres communautés locales, les APAC, la société civile et le gouvernement local.
  • D’être mieux reconnue, respectée et soutenue, de manière appropriée au niveau local, national et international.
  • De devenir plus sage, plus responsable et d’améliorer ses capacités pour apporter des réponses positives face aux opportunités et menaces existantes pour l’APAC, à travers les leçons tirées de l’expérience, l’innovation, la prévention et la résolution de problèmes.
Au cours de l’atelier.

Ces objectifs découlent du « processus de renforcement autonome » (PRA), qui propose une série de modules permettant aux communautés locales de réfléchir de manière critique à leurs propres territoires de vie. Le PRA vise à stimuler : la réflexion sur l’importance historique et culturelle des APAC, une meilleure compréhension de leur fonctionnement et des défis de l’autogestion, la planification et la vision pour leur épanouissement futur, ainsi que la mise en réseau et la communication avec d’autres APAC et partenaires.

Alors que les modules du processus de renforcement autonome ont été créés pour les APAC du monde entier, leur cadre permet à chaque territoire de vie de se baser sur ses propres idées, ressources et outils en fonction de son contexte local et ses particularités.

Tout au long des ateliers de Moundé, l’équipe d’animation a encouragé la communauté à reconnaître et à avoir confiance en sa capacité unique à gérer et préserver son propre territoire. L’analogie de l’arc et de la flèche a été présentée pour consolider cette idée : plus on tire sur l’arc (plus une communauté peut s’engager en faveur des valeurs historiques et culturelles liées à son territoire), plus la flèche sera puissante et précise pour atteindre sa cible.

Formaliser, documenter et communiquer : trois objectifs clairs pour l’APAC de Moundé

Après deux jours de travail collaboratif, la communauté de Moundé a pu élaborer les objectifs et les plans pour son APAC, Wacc Bassil. Elle a défini trois domaines de travail essentiels pour le renforcement de son APAC :

La formalisation et la reconnaissance : Afin de faire de Wacc Bassil une organisation communautaire officielle, la communauté a décidé d’établir un comité de gestion de l’APAC, ainsi que d’organiser une Assemblée générale pour formaliser les processus de prise de décision. Cela permettrait également d’accroître la reconnaissance du Wacc Bassil en tant qu’APAC.

Planification participative.

La documentation : Afin de documenter la présence de Wacc Bassil en tant qu’APAC, la communauté a décidé qu’il était nécessaire d’établir une cartographie de son APAC, en délimitant officiellement son territoire. Par ailleurs, elle a proposé de rédiger un communiqué de presse pour les médias locaux et régionaux à ce sujet.

La communication et la sensibilisation : Afin de faire connaître Wacc Bassil à différents publics, à la fois au sein de la communauté et en dehors, la communauté a proposé divers projets de communication, notamment la mise en place d’une émission de radio, d’un débat à l’échelle de la communauté, la création d’un site web et l’organisation de visites à domicile pour informer les habitants du travail mené autour de l’APAC.

A Bétynti, les valeurs au cœur de la conservation de la biodiversité

Tout comme Moundé, Bétynti n’est accessible qu’en bateau. Nous nous sommes donc dirigés vers le petit port de pêche de Missirah, où nous avons embarqué à bord d’une petite embarcation, qui a dû se frayer un chemin délicat entre bancs de sable cachés et marée descendante. Nous sommes arrivés à destination à midi et les ateliers animés par Salatou ont démarré aussitôt. Prévus sur deux jours, ces ateliers avaient les mêmes objectifs généraux qu’a Moundé.

Arrivée à Bétynti.

Cependant, même si les ateliers organisés à Bétynti et à Moundé suivaient le même modèle, les conversations qui ont surgi a Bétynti étaient propres à cette communauté et à son territoire de vie.

A Bétynti, les conversations et réflexions inspirées par l’atelier sur le PRA ont surtout porté sur les façons dont leur territoire de vie soutient les valeurs fondamentales et la vitalité de la vie communautaire. Les participants ont réparti ces valeurs fondamentales en quatre catégories :

Les traditions et les coutumes de la communauté : Les participants de la communauté ont reconnu que, du fait de leur lien étroit et profond avec leur territoire de vie, ils préservent et entretiennent leur APAC, renforçant ainsi leurs liens communautaires et maintenant des traditions et des rituels importants, tels que leurs pratiques coutumières de gestion des terres qui protègent tant la biodiversité que leurs pratiques médicinales traditionnelles.

L’importance économique de leur territoire de vie : Les membres de la communauté présents lors de l’atelier ont souligné l’importance cruciale de leur territoire de vie pour le maintien d’une économie locale saine, basée en grande partie sur les médecines traditionnelles, la pêche et le pâturage du bétail.

Un aperçu de l’atelier.

Solidarité et fierté communautaire : Enfin, les représentants communautaires ont souligné que la réussite de la gestion de leur APAC était une source de fierté pour la communauté. Par exemple, le fait de disposer de mécanismes efficaces de résolution des conflits sur l’utilisation des ressources a renforcé le sentiment de cohésion et de solidarité dans la communauté.

Les objectifs de renforcement de Bétynti

Malgré les diverses menaces qui pèsent sur leur territoire de vie, principalement l’insécurité sociale et économique due à la mondialisation, la communauté a identifié une série d’objectifs et de besoins clés pour assurer le renforcement de son APAC au cours des prochaines années. Voici quelques exemples mentionnés :

  • Délimiter clairement leur territoire de vie ;
  • Obtenir du matériel pour la surveillance effective de leur territoire de vie ;
  • Avoir un bureau pour effectuer les travaux administratifs ;
  • Obtenir la reconnaissance légale de leur APAC ;
  • Organiser une Assemblée Générale inaugurale ;
  • Communiquer et échanger avec d’autres APAC dans la région et dans tout le Sénégal.

Le PRA : vers une conservation par et pour la communauté

Ce travail de soutien et de renforcement des territoires de vie au niveau local constitue la base pour le développement d’un réseau d’APAC fort et puissant, à la fois au Sénégal et dans le monde entier, et prépare ainsi le terrain pour envisager une nouvelle conceptualisation de la conservation et du « développement durable ».

Les poissons sèchent au soleil du soir.

La conservation dans les APACs est véritablement dirigée depuis la base vers le sommet, en fonction des besoins des communautés locales et des Peuples Autochtones et selon leurs propres histoires et cultures. Il s’agit d’une conservation par la communauté et pour la communauté. En observant ce travail en direct, à Moundé puis à Bétynti, j’en ai tiré un enseignement majeur : les fondations qui sont en train d’être posées au travers de la construction locale des APAC sont celles d’un changement dans la façon dont la conservation est comprise et pratiquée à grande échelle.