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La Conservation des APAC par la Transmission des Connaissances : l’Expérience de la Communauté Locale de Kalwaka au Burkina Faso

First published on 07/21/2019, and last updated on 10/28/2019

Par Alexis Kaboré, coordinateur régional du Consortium APAC pour la région du Sahel.

L’objet de ce compte-rendu est de montrer comment une communauté locale utilise les Assemblées Générales de Village comme moyen de partage intergénérationnel des savoirs sur les bois sacrés en vue d’une gouvernance inclusive et durable de ses APAC.

En Afrique et dans la région du Sahel en l’occurrence, les Assemblées Générales de Village (AGV) sont une instance incontournable dans la gouvernance des APAC. Elles sont nécessaires pour la mobilisation de l’ensemble de la communauté à laquelle appartiennent l’APAC ou les APAC considérées. Les AGV sont également des espaces de partage des connaissances sur les APAC, leur histoire, ce qui les lie aux membres de la communauté et les valeurs et normes dans lesquelles est ancrée leur gouvernance.

C’est ce partage que la communauté villageoise de Kalwaka (2800 habitants – centre-ouest du Burkina) a expérimenté le 20 juillet 2019 en tenant son AGV annuelle. Ouverte à tous, celle-ci fut le plus grand rassemblement de la population de la localité au cours de l’année. Du plus jeune au plus vieux, hommes comme femmes, autorités coutumières et religieuses, instituteurs en poste dans le village, toutes les composantes sociales étaient largement représentées. De nombreux ressortissants du village vivant dans les villes à l’intérieur du pays ont le fait le déplacement, tout comme les autorités communales et des personnes venues des villages voisins.

D’une année à l’autre, les AGV se distinguent par leur thème central. Pour celle de 2019, les autorités coutumières de Kalwaka avaient décidé que la concertation porterait sur la transmission des connaissances sur les bois sacrés du village. L’école moderne a pris une grande part de l’espace éducatif des enfants alors qu’elle exclut de son programme les savoirs traditionnels locaux. Aussi, la crainte que ces connaissances sur lesquelles reposent la conservation et l’usage intelligent de ces bois sacrés et ancestraux se perdent est de plus en plus forte. Il faut agir !

Rappelons que le village de Kalwaka est célèbre au Burkina Faso non seulement du fait du nombre important de sites naturels conservés -dont une quinzaine de bosquets sacrés- présents sur son territoire, mais aussi du fait de la mobilisation exemplaire de la population pour la défense de ces APAC. Le succès avec lequel la population a empêché l’implantation d’un projet d’exploitation aurifère dans un de ses bois sacrés a fortement contribué à sa renommée nationale.

Ces sites naturels sont de petites brousses (entre 0,5 et 10 ha de superficie) abritant une grande diversité d’espèces végétales, d’animaux sauvages et de poissons. Certains recouvrent des collines tandis que d’autres abritent des points d’eau (mares ou puits). Ainsi, le village de Kalwaka est clairsemé de ce type de formations forestières sur l’ensemble de son territoire.

Au cours de l’AGV 2019, la transmission des savoirs a été exécutée en trois étapes : échanges de questions-réponses directs entre les anciens et les enfants, contributions en enseignements par les adultes et corrections finales par les anciens. Comme dans une classe d’école, mais cette fois, avec les grands-parents et les parents dans le rôle des enseignants à la place des instituteurs, les enfants se sont prêtés avec enthousiasme aux jeux de questions-réponses orales.

Une vingtaine d’enfants, tous des élèves, ont répondu, mais en énumérant, en tout, seulement quatre bois sacrés. Leurs connaissances de l’utilité de ces bois sont limitées à l’usage qu’en font leurs parents pour cueillir les feuilles d’arbres ou d’arbustes pour les soins des maladies des enfants. Selon les tout petits, l’autre intérêt de ces bois est qu’il est le lieu de pâture du petit bétail (chèvres, moutons, etc.). L’interdiction d’y entrer à cause des esprits est la règle connue.

Pour les adultes, les bois sacrés sont du « né trouver, mourir laisser », c’est-à-dire à la fois un héritage et un patrimoine à léguer. C’est « la racine de notre vie ». Si un malheur doit arriver, ce sont ces collines, points d’eau, reliques boisées qui protègent le village, les familles, les individus, comme ils l’ont fait depuis que le village existe. Ils peuvent procurer la santé, la procréation, la réussite à qui leur demande. Si le chef du village ou du canton y sacrifie, le village peut avoir la pluie, la paix, etc.

Dans tous les sites sacrés, la coupe du bois et la mise à feu sont interdites, de même que la défriche pour l’agriculture et le creusage. D’autres interdictions existent mais varient selon le bois. Par exemple, on ne peut aller au bois sacré dénommé « Wendbouli » avec un objet métallique, ni puiser l’eau du puit pendant l’hivernage.

La synthèse des bonnes réponses, faite par les anciens, a permis de souligner le fait que toutes les restrictions instruites par les esprits des bois sacrés dans les usages de ceux-ci, concourent à leur pérennité. C’est à la population dans son ensemble, tout âge et tout sexe confondus, résidents à Kalwaka ou à l’extérieur, de veiller à cette conservation. Dans leurs commentaires, les uns et les autres ont salué le caractère novateur et très utile de l’exercice d’éducation à la conservation qui vient d’être réalisé. On conserve mieux ce qu’on connaît !

L’avenir de cet impressionnant réseau de bois sacrés qui fait de Kalwaka l’un des villages les plus verts de la région et des plus actifs en événements culturels est dans les mains de ses enfants et de ses jeunes. Il a été recommandé qu’à la rentrée scolaire prochaine, une concertation se réalise entre les autorités coutumières du village et les directeurs des écoles et du collège en vue d’envisager le passage de ces autorités dans les classes pour des séances d’éducation à la conservation des sites naturels du village.

Les Assemblées Générales de Village sont un outil efficace de gouvernance inclusive des APAC à l’échelle des communautés locales au Sahel, car chaque APAC est une école, un condensé de savoirs destinés à être partagés entre générations en vue de la mobilisation de tous pour la conservation de ces patrimoines qui font de chaque village un territoire de vie et pour la vie.

 

Pour en savoir plus sur les APAC au Burkina Faso:
Les APAC au Burkina Faso : se préparer à la création d’une organisation nationale, Alexis Kaboré et Christian Chatelain, 25 octobre 2017.
APAC SAHEL – BURKINA FAO L’Association nationale des APAC du Burkina Faso est née!, Alexis Kaboré, 26 décembre 2017.
Formation au Processus de Renforcement Autonome des Communautés Locales dans la Gouvernance de leurs APAC au Burkina Faso, Alexis Kaboré et Marcel Koadima, 26 avril 2018.
Formation de l’Association Nationale des APAC du Burkina Faso à la Gouvernance Associative, Alexis Kaboré, 3 juin 2019.

Crédits photos: Alexis Kaboré.